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Gens (d'ici et d'ailleurs) - Page 8

  • Georges

    J’ai de nouveau sollicité les services d’un taxi-moto. Ca faisait longtemps.

    Lundi matin, mes contacts habituels n’étant pas disponibles, c’est un nouveau qui fumait sa clope en m’attendant en bas de chez moi. Et tandis qu’il nouait le lien de mon casque et remontait le zip de la parka, j’ai pensé « Dans ma vie, j’ai raté un truc : sortir avec un motard ».

    Georges, puisque c’est son prénom, est très sympa, comme les 2 pilotes que j’ai rencontrés jusque là. On a profité des bouchons pour faire connaissance et parler un peu boulot, un peu perso. Je l'ai charrié le premier soir : "Y'a pas de chocolat pour la route ?"

    Il a répondu "On peut faire".

    Et hier soir, pour notre dernier trajet ensemble, il a ouvert son top case et m’a tendu un paquet de Bounty. Le kif.   

  • L'ascenseur

    Je poursuis mes petites expériences comportementales et relationnelles avec mes sources inépuisables d'observation : les habitants de ma jungle urbaine ...

    Un matin de cette semaine, je me poste devant la cabine d'ascenseur sur le quai de la ligne 14. Un grand métis, musique sur les oreilles, s'y trouve déjà ainsi qu'une femme dans la cinquantaine, cheveux courts et clairsemés. Une silhouette toute de noir vêtue se glisse à côté de moi. Amusée, j'observe le manège de celle que j'ai remarquée quelques jours plus tôt et à laquelle je ne parviens pas à attribuer une tranche d'âge : fine et fluette, elle a la tenue vestimentaire d'une très jeune fille et le visage d'une quadra. Je l'ai surnommée "la préposée à l'ascenseur" tant elle semble s'être attribué une mission. Elle se rue sur la porte et garde le doigt appuyé sur le bouton, les yeux levés guettant la descente de la lourde cabine, la main sur la hanche, jusqu'à ce que celui-ci s'ouvre enfin devant nous. Ce contrôle du bouton d'appel de l'ascenseur semble être d'une importance vitale pour elle. Nous montons et la porte, sensible au moindre mouvement, se ferme sans anicroche sur nous quatre.

    A l'étage suivant, nous voilà stoppés dans notre élan. Un jeune asiatique, tenant à la main un vélo pliant, se tient devant la porte ouverte. La femme aux cheveux courts ne semble pas décidée à lui laisser de l'espace mais le jeune homme avance et elle se plaque contre la vitre en secouant la tête d'un air désapprobateur. Les minutes qui suivent sont assez amusantes car le jeune homme, lui tournant le dos, ne le voit pas mais la femme le fusille du regard en continuant de secouer la tête, visiblement excédée.

    Au niveau -2, damned ! on s'arrête encore ! Cette fois, c'est une femme et un homme rondouillard qui entreprennent d'investir l'ascenseur, maintenant plein comme un oeuf. Et ce à quoi nous avions miraculeusement échappé jusque là arrive : la porte de l'ascenseur reste obstinément ouverte et sonne sans discontinuer. On laisse échapper des soupirs étouffés, une agitation à peine perceptible se fait sentir et j'invite les deux derniers arrivants à s'écarter de la porte pour qu'elle se ferme. Notre petit groupe se resserre en un bloc compact mais rien n'y fait, la porte sonne toujours. Une dame qui attend la prochaine fournée à l'extérieur signale, compatissante : "C'est le sac de la dame qui bloque".
    La quinqua ennemie des vélos pliants perd alors tout contrôle d'elle-même et glapit "Moi je vais descendre, là, c'est pas possible, j'en peux plus !" Elle semble au bord de l'apoplexie.

    Elle est incroyable cette femme, elle est en train de se fabriquer un ulcère, ma parole ! Je me retiens de répliquer vertement "Ah non, vous allez pas nous faire chier à faire bouger tout le monde pour sortir, maintenant que vous êtes là, vous y restez !" mais je souris et dis calmement "Respirez, détendez-vous, c'est vendredi, ça va bien se passer". Elle réplique "Oui mais je suis pressée moi !"
    "On est tous pressés mais il y a vraiment des choses bien plus graves dans la vie"

    Et là, sans doute mû par la tournure dramatique que prend notre équipée, le papy rondouillard balance une grande tape dans le dos de la vieille au sac qui, soudain projetée en avant, manque atterrir dans mon décolleté. Elle se tourne vers lui, furieuse, et lève le poing. Et là, j'éclate de rire devant cette scène surréaliste, suivis par tout le groupe à l'exception des deux vieilles.
    Ça y est, la cabine se met enfin en branle mais moi je n'arrive pas à réprimer un fou-rire nerveux. Profitant de la complicité indulgente du métis et de la préposée à l'ascenseur qui me sourient, je lâche "Ma parole, c'est trop drôle, on se croirait dans un sketch des Monthy Python !" Le métis éclate d'un rire franc, suivis par quelques autres.

    Enfin arrivés à l'air libre, le vieux rondouillard demande "C'est bien ici qu'on descend ?" Je réponds "Ah oui, c'est ici, et je pense qu'on va tous jaillir de l'ascenseur tellement on en a ras-le-bol d'être coincés là !"
    Et c'est un groupe hilare qui se sépare en se souhaitant une bonne journée, sourire aux lèvres. Je suis ravie d'avoir joué, une fois de plus, à renverser une situation en la faisant glisser de la colère vers le rire.

    Rejoignant le quai de mon train, je me remémore les paroles de Laurent. L'émotion, c'est ce que nous faisons d'une situation. Et être libre, c'est vivre ce qu'on a envie de vivre. J'ai choisi.

  • Dans un village de Paris : mémoires

    Il y a quelques mois, un homme avec lequel j'avais échangé quelques mails sur un site de rencontres m'avait fixé rendez-vous. Il faisait commerce de vins rue de Vouillé, non loin du quartier de ma jeunesse et c'est là que je le retrouvai, à l'heure de la fermeture.

    Après dégustation d'un bon rouge, il propose de dîner dans un restaurant de ses habitudes. Chemin faisant, nous évoquons ce quartier, si empreint de la présence d'un de ses illustres habitants, Georges Brassens. Atteignant le bas de la rue Brancion, je mentionne ce bistrot mythique et privé, dans lequel je rêve d'entrer.


    "Ce sont des amis, on y va, si tu veux !" s'écrie R.

    Quelques minutes plus tard, il frappe à la porte, on ouvre et je pénètre dans ce temple de la boxe, que m'avait décrit mon père. L'éclairage est tamisée et la salle sombre laisse entrevoir de nombreux visages qui scrutent ceux des nouveaux arrivants, à la recherche d'un ami. Sur les murs, de grands miroirs piquetés disputent la place à des dizaines de photos d'acteurs, boxeurs et affiches noir et blanc vantant leurs exploits.   
    A une des tables, un homme au visage rond se tourne vers nous et serre la main à mon compagnon.
    "Installez-vous" dit-il, poussant quelques chaises. Je devine qu'il s'agit du fils de Walczak.
    A ma gauche, sur la banquette, un homme blond à lunettes me sourit franchement et me sert un coup de rouge.

    Ce soir, trois hommes vont rendre hommage à Eddy Mitchell. Le visage du chanteur m'est assez familier, R. me donne son nom, il s'agit de Béjo, compagnon de Renaud et Bashung. En attendant les premières notes, R. me présente à JL comme étant une enfant du quartier. Je parle de mon père, copain du sien disparu il y a déjà de longues années. Mon Pap's et JL ont exactement le même âge et JL est certain de l'avoir croisé.

    J'ai fait la connaissance de mon voisin de gauche, un ami de Renaud, et déjà abondamment trinqué quand le concert commence. Je redécouvre le répertoire de Eddy, parfaitement interprété par Béjo en imaginant Brassens, Piaf, Cerdan et Brel sous le même plafond que moi, il y a des années, à l'époque où les abattoirs étaient encore là.

    Accrochés tout en haut d'un pilier central, des chaussures et gants de boxe prennent la poussière. Face à moi, Lino Ventura, Edith Piaf, Belmondo et bien sûr, Brassens qui pose avec ses chats témoigne de l'incroyable rendez-vous que fut le bar de Walczak, et de l'atmosphère encore si particulière qu'y entretient son fils qui n'a rien changé au décor surrané du père.

    Lorsque je referme la porte sur la devanture jaune vif, c'est après avoir promis de ramener mon père, si j'arrive à le convaincre de venir à Paris.

    Depuis, je suis retournée 2 fois chez Walczak. Un midi ensoleillé de mai, où mon coeur était lourd et en demande de chaleur humaine, j'ai garé mon vélo pour déjeuner avec JL d'une délicieuse entrecôte. Une nouvelle photo ornait le mur, celle de Belmondo aux cheveux blancs, venu peu auparavant parler avec JL de son père.
    "Tu fais partie de la famille", m'a -t-il dit, tout en se plaignant que la veille, un groupe de 20 l'avait planté 30 minutes avant leur réservation :
    "Qu'est ce qu'ils ont à me casser les couilles, ils ont qu'à aller chez Hippopotamus" avait râlé JL dans un franc-parler qui plante le personnage.

    Chez Walczak, on se délecte d'anecdotes croustillantes et de soirées arrosées, toujours sous le signe de l'amitié. On y croise un Michel Bouquet, arrivé là par hasard, qui après s'être inquiété que tout le monde se serve dans son pinard, repart en lâchant "Je n'ai jamais mangé dans un bordel pareil mais qu'est-ce-que je me suis éclaté !"

    Hier soir, c'est en comité très restreint, pour cause de match de foot et météo humide, que j'y ai écouté, avec mon frère, un concert donné par Serge, grand gaillard basque au regard bleu et Martine, petit piaf à la voix cristalline.
    "J'ai commencé ma vie à 51 ans, quand j'ai rencontré ma femme" nous confie Serge qui s'est installé, entre deux morceaux, à notre table.
    Un peu plus tard, un homme entre, au physique de Hugues Aufray en plus jeune (je trouve que Hugues Aufray est un vieillard absolument magnifique). Je le dissuade de s'installer seul au bar et désigne une chaise à notre table.  Une heure plus tard, il a pris ses aises, chante avec nous "Les copains d'abord" et déclare être au paradis.

    Je sais désormais où aller quand j'ai envie de me sentir comme à la maison, en moins seule : chez Chichi et Kamel, à l'Oustaou, ou chez JL, au bar des Sportifs Réunis.

  • Un verre à Barcelone avec un pilote de l'US Air Force

    C’était le soir de ma toute première course, à Barcelone. Après une sieste régénératrice, enfouie dans les édredons tandis qu’un déluge s’abattait sur la ville, j’avais vaincu ma paresse et repris le bus pour aller dîner dans le centre. Le réceptionniste marocain m’avait conseillé un restaurant où il avait ses habitudes, à côté de la boutique du FC Barcelona.

    Dans le bar au décor américanisé, je me hisse sur un tabouret, au comptoir. Après avoir commandé un verre de Rioja, je scrute la vitrine et fais mon choix : fèves au jambon, asperges à la croque au sel, calamars à l’andalouse. Les haut-parleurs distillent « I want you » de Marvin Gaye et je me détends, tout en discutant avec le serveur, marocain lui aussi.

    Face à moi, de l’autre côté de l’immense comptoir, un séduisant jeune homme s’est installé, seul lui aussi, devant une pinte de bière. Il dîne, les yeux rivés sur l’écran de télé qui diffuse un concert de Rod Stewart. Nos regards se croisent, des sourires s’esquissent et après plus d'une heure et quelques formules de politesse, nos verres tintent.

    Mon compagnon d’un soir est portoricain et pilote dans l’US Air Force. Il est basé en Allemagne depuis plusieurs années et profite de quelques jours de congés pour parcourir l’Europe, et ce week end, Barcelone, avec des copains pilotes qui se remettent mal de la cuite de la veille.  

    P. raconte sa solitude, loin des siens, ses nièces et neveux qui grandissent loin de lui, les larmes que verse, à chacun de ses retours a Porto Rico, son père vieillissant et terrifié de perdre son petit dernier régulièrement envoyé en mission en Afghanistan. Je lui dis mon opposition à cette guerre stupide et injuste. « Je suis contre cette guerre aussi, dit P., mais je suis un soldat et je dois obéir ».

    Nous nous racontons nos voyages. P. est un homme sacrément cultivé et intéressant. Il parcoure l’Europe et est même allé à Paris « mais je n’ai pas aimé, je dois le dire ». P. s’y est heurté, comme tant d’autres, au mépris des « professionnels du tourisme ». Mais ce qui m’amuse particulièrement, ce soir-là, c’est le portrait sans complaisance que P. dresse des Européennes qu’il a observées :

    -          Les Espagnoles ? Elles ressemblent à mon frère, elles ont un visage trop masculin.

    -          Les Françaises ? Elles donnent l’impression que ce qu’elles portent est plus important que ce qu’elles sont.

    -          Les Scandinaves ? Symétriques et … inhumaines.

    Nous discutons géopolitique et musique. Après que P. m’ait raconté ses nombreuses vies, le doute se fait en moi. Je lui donne 30 ans tout au plus. P. me remercie et arbore un large sourire : il a 38 ans. Il me prend à son tour pour une gamine, je le mets K.O : 1-0, balle au centre.

    Sur le trottoir, P. me serre virilement la main. Nous avons échangé nos coordonnées car j’ai promis de lui montrer une autre facette de Paris, lors de son retour en juin, au gré d’une de mes balades. Et aussi de l'emmener danser la salsa, ce qui m'emmerde, entre nous, mais il aime les danses latinos et Paris en est un des meilleures ambassadrices.

    Qui m’aurait dit que je partagerais avec grand plaisir un verre avec un type qui bombarde l’Afghanistan ? L'humour et l'acuité de P. m'ont enchantée et sa solitude m'a émue. Je repars dans les rues glacées et désertes, conversant maintenant avec une jeune Colombienne qui vit ici depuis des années.

    Quelle belle surprise que cette soirée ! J’en ai même oublié mon parapluie dans le bar.

  • Une après-midi à Camden market

    Tu t'appelais Michael, je crois. Ou Peter. Peu importe.
    Tu étais londonien, sans doute. Ou pas. Peu importe.
    C'était un dimanche de janvier, dans Camden Market. Je m'y promenais, une belle blonde sous le bras, savourant les dernières heures d'un week end froid et ensoleillé à parcourir Londres.Nous nous réchauffions en buvant un thé, humant les effluves sucrées et épicées.

    Tu t'es assis devant le piano abandonné à côté de nous, étrange lutin coiffé d'un bonnet à pompon. Tu nous as saluées avant de faire naitre sous tes mitaines une mélodie des Red Hot Chili Peppers. Tu m'as demandé si je connaissais, et si j'aimais. Après quelques morceaux, manquant peut-être d'inspiration, tu m'as sollicitée, offrant de jouer un morceau que j'affectionnerais. J'ai demandé "The scientist" de Coldplay. Tu ne la connaissais pas. Quelques faux départs plus tard, nous nous sommes accordés sur de Karma Police de Radiohead et j'ai chanté avec toi. Puis je t'ai entraîné sur Rat race de Bob Marley, du reggae au piano, fallait le faire et tu l'as fait.

    Nous avons partagé plus qu'une chanson, un de ces instants rares d'amitié qui donnent un sens à cette vie. Une preuve, encore une que c'est l'humain et lui seul qui apporte le bonheur. Que les mots sont superflus quand les émotions sont à l'unisson. Que le bonheur est dans ces instants-là, dans ces rencontres avec des inconnus qui sont toi, ces instants fugaces et éternels.
    Cette photo n'était même pas nécessaire car si j'ai oublié ton prénom, ton visage est dans mon coeur.

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