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Gens (d'ici et d'ailleurs) - Page 10

  • Maxence, dépanneur de Chinoises

    Désolée pour Nicolas, en fait, le dîner avec le jeune homme timoré du cours de théâtre, s'il fût fort agréable, n'a rien de croustillant. La star de la soirée ne fut pas celle qu'on imaginait.

    Au café Vavin, je suis entourée de Malik, avec lequel j'ai très vite accroché, Maxence que je connais peu et Florent, le jeune homme mal dans sa peau, qui me fait face. J'apprends qu'il a 23 ans et qu'il est marchand d'art. Difficile pour moi d'enchaîner là-dessus vu que je n'y connais rien en art. Il travaille beaucoup avec des Chinois et déteste leur contact car il les trouve rustres. Maxence, à sa gauche, le questionne et expose les différences et rivalités entre Japonais, Chinois et Coréens. Je me souviens qu'il avait confié, lors d'un précédent dîner, avoir été marié à une Coréenne. Maxence est dépanneur informatique, spécialisé en asiatiques. Florent et moi passerons le reste de la soirée à pleurer de rire en écoutant ses aventures.  

    Plutôt bel homme, la cinquantaine, Maxence est désormais cramé dans la communauté coréenne (elles ne sont que 5000 sur Paris), alors il a élargi son spectre. Les Chinoises, au moins, il y a peu de chances qu'elles se croisent. Quoique. Maxence avait sa Chinoise du samedi, qui ne consentait qu'à se faire offrir le restaurant, chaque samedi. Il ne touchait même pas une culotte, Maxence, alors il en a eu marre et a pris une Chinoise pour le dimanche.

    Un jour qu'il pelotait sa Chinoise du samedi sous un porche, du côté de Parmentier, ils se retrouvent avec une lampe-torche dans la gueule. C'est le vigile du bar voisin car pas de pot, Maxence a déboutonné sa copine juste sous la caméra de surveillance. Sa Chinoise, mortifiée, essaie de couvrir sa poitrine dénudée et Maxence se la met sur l'oreille. Quelques jours plus tard, sa Chinoise du samedi lui joue une scène de rupture en pleurant parce qu'il sort avec sa copine. Ben oui, Maxence n'a vraiment pas de pot, sa Chinoise du samedi et sa Chinoise du dimanche étaient voisines de palier en Chine. "En même temps, payer le resto chaque samedi pour toucher un bout de sein, c'est cher payé", je lui dis.

    Pour draguer, Maxence a plus d'un tour dans son sac. Aidé d'une copine "coach" chinoise, donc, il placarde des annonces en chinois. Et vu que c'est compliqué de décrypter le langage non-verbal de ses conquêtes, sa copine coach, à l'issue de ses rencontres, lui dit si c'est mort ou s'il peut persévérer.

    Un jour, il a flashé sur une Vietnamienne. Il l'a bombardée de messages, sans succès jusqu'au moment où elle l'appelle pour dépanner son ordinateur. "C'est 50€ de l'heure", lui répond-il. Elle est offusquée. Finalement, il vient chez elle, la saute puis s'attaque à l'ordinateur sur lequel il découvre des centaines de photos de sa Vietnamienne dans des positons de cochonne. Elle l'accueillait dans son lit avec un énorme pétard et puis un jour, elle lui a expliqué qu'elle s'était piqué dans le passé alors il a flippé et a pris la tangente.

    Je demande à Maxence pourquoi il aime tant les Asiatiques. "Parce qu'elle font sont dévouées au bonheur de leur mec" répond-il.

  • Un vendredi soir à Pigalle

    la bougnate, delphine mc carthy"Etre un bon coup, c'est un truc de moche, ça. Ben oui, on sait bien, tous, que n'importe quel homme préfère être vue à côté d'une Ferrari, même en panne, plutôt qu'à côté d'un tracteur qui roule !"

    Cette tirade, dans la bouche de Delphine Mc Carthy, m'a fait sourire, repensant à une tentative lue récemment de définir un bon coup. En tout cas, comme elle, je n'aime les calamars que dans une assiette ... Et j'ai regretté de devoir ignorer son invitation, lancée au public à la fin de son one woman show, de la rejoindre au bar pour un verre. J'étais claquée après ma séance dans la pataugeoire avec J. et le gueuleton, une heure auparavant, au restaurant la Bougnate.

    Quelques jours plus tôt, j'avais reçu d'une brune rousse pêchue et amatrice de concert, théâtre, restos, bref une bonne vivante comme j'aime, ce sms : "Ça te dit une soirée théâtre aux frais du CE?"

    Le spectacle se tenait aux théâtre de Dix Heures, à Pigalle. Pour rire, je lui avais filé rendez-vous devant le Moon City. Bloquée dans le métro "suite à un voyageur malade à gare de l'Est", j'avais envoyé un message d'excuse. Extrait :
    - Je ne sais pas toi, mais moi je suis un peu à la bourre. PS : C'est pas une raison pour rentrer te réchauffer au sauna !
    - Je préfère le bain bouillonnant ! Y'a un monsieur qui veut m'emmener sur la lune ! Mais il n'est pas dans mes âges !
    - Mdr ! Il veut voir la tienne, c'est ça ! Y'a meilleur endroit pour te faire poireauter, ceci dit. Si tu en as marre, vas t'installer au resto, j'ai réservé.
    - T'inquiètes, je t'attends, j'ai du shopping à faire en face ;)
    - En face ?? Au Sexodrome ?" :p

    En réponse, j'ai reçu une photo de ... non, non, no ! du Sexodrome.... Devant le Moon, elle était hilare. J'avais été chargée de trouver une adresse gourmande, et depuis le remplacement du Chao Ba par une chaîne que je boycotte, j'avais jeté mon dévolu, à l'occasion de cette balade avec M. et Mme Usclade, sur La Bougnate.

    La Bougnate, une adresse chaleureuse et généreuse, où on privilégie le fait maison, qui figure désormais sur ma liste de valeurs sûres. A mon entrée, Franck, le patron très attentionné, m'a reconnue, ce qui est toujours appréciable après seulement une visite il y a 2 semaines. Dans le décor disparate tapissé des peintures fleuries de la patronne mais aussi d'une fresque peuplée de cochons et de femmes plantureuses et de bustes de Coluche et Gainsbourg, nous nous sommes installées. La carte, alléchante, propose quantité de choix plus appétissants les uns que les autres : terrines et foie gras maison, rognon entier ou tête de veau, souris d'agneau, magret de canard, andouillette ou saucisse aligot, pommes sarladaises, il faut plusieurs visites pour faire le tour de la carte.


    Ma convive, auvergnate, se propose pour tester la saucisse d'Auvergne aligot, qu'elle valide. Moi je baillône un instant la gourmandise qui m'enjoint de savourer la soupe gratinée au cantal et opte pour un hachis parmentier aux trois viandes aux copeaux de foie gras, gratiné au cantal. Tout ça avec du Saint-Pourçain au compteur, dont il n'est resté qu'un fond. En dessert, déjà repues et un peu pompettes, nous optons pour un dessert à partager. Un sublime Paris-Brest, à la crème aérienne et délcieusemet parfumée, sapoudrée d'amandes caramélisées, une tuerie ! Du coup, on a pris un deuxième dessert, des profiteroles (les choux et tuiles géantes, faits maison, nous aguichent derrière la vitrine de la cuisine). Simone, toute pimpante sous son joli sourire rouge vif assorti à ses lunettes (ou l'inverse), a plongé une louche dans la bassine de chocolat apporté à notre table et  et nappé les choux d'un épais et brillant coulis noir.

    la bougnate,delphine mc carthy

    Ma compagne a validé; La Bougnate, c'est une tuerie, 10/10, et l'accueil est à hauteur de l'assiette. Il me reste encore plein de plats à tester, mon prochain invité est donc un grand amateur d'aligot, j'ai nommé Oh!91 (dis merci à tata Fiso!:p)

    La Bougnate au 2, rue Germain Pilon, Paris 18ème (01.42.62.74.39)

  • Au café avec les hommes et une nuit à Takadoum, en famille

    Au Zenith, avenue Okba à Agdal, nous retrouvons B. avec un de ses amis, auquel Yo trouve des airs de ressemblance avec Djamel Debbouze.

    Peu après, nous sommes rejoints par un autre homme, puis un artiste-peintre qui ne décroche pas un mot, un jeune homme que je crois un instant français, superviseur dans un centre d'appels et travaillant avec un de nos concurrents directs, et bientôt, le cercle s'élargit et je me retrouve au milieu de 8 hommes, dont Abdel qui nous a rejoints. Je savoure mon privilège d'être au milieu d'une assemblée exclusivement masculine.
     
    En lui racontant notre visite à Chellah, Abdel m'apprend que le sultan Abou Al-Hassan qui y est enterré était noir de peau et sa femme, une anglaise, raison pour laquelle il donna Gibraltar aux Anglais. En effet, il était surnommé "le sultan noir" et sa sépulture se trouve dans la forteresse de Chellah, où il repose près de sa femme, "la sultane Chams al Doha, une Anglaise convertie à l'islam".

    Je parle avec Abdel de mon nouveau hobby de guide touristique bénévole et lui promet une visite privée lors de sa venue à Paris.

    La nuit est tombée lorsque B. nous fait visiter les nouveaux locaux de l'association qu'i a créée, dans le quartier de Youssoufia. Deux salles de cours, fraîchement repeintes, sont déja équipées de bureaux et chaises.   

    Ce soir, nous dormirons dans la famille de B., dans le quartier de Takadoum. Nous passons chercher nos valises chez Y. à Youssoufia. Je comprends que Yo aime ce quartier car l'agitation fébrile qui grandit aux abords du mini-parc, au fur et à mesure que la nuit tombe, est fascinante.
    B. s'arrête au carrefour du mini-parc pour que je prenne des photos de ce quartier si animé, ce qui amuse beaucoup les vendeurs dans leurs cahutes, qui crient "Photo ! Photo !"

    L'animation dans le quartier de B. est plus intense même qu'à Youssoufia.
    B. raconte qu'un volontaire de l'association, en découvrant les tentes, les lumières, les grillades et la musique, lui demanda s'il y avait un festival dans son quartier. Un instant perplexe, B. avait répondu, hilare "Un festival ? C'est tous les jours le festival ici !"

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    Nous suivons un dédale de ruelles et nous arrêtons devant une porte de fer. C'est la maison de B., où nous passerons la nuit. Sa soeur et son père nous accueillent; le père va souvent en France, notamment à Marseille, Montpellier et Ajaccio.
    Nous nous asseyons dans le salon familial et ce qui suit est très drôle; le père descend des albums photos du temps de sa jeunesse et même des photos de son propre père, ainsi qu'une carte de famille nombreuse des années 60, faite à Béziers, c'est du collector !

    Sur les photos dentelées, le père de B. a une coupe de cheveux à la Mike Brant et porte les mêmes pantalons moule-boules jaunes soleil que le mien, dans les années 70, et sa mère porte des pattes d'eph rouges comme la mienne alors. C'est marrant de constater à quel point la jeunesse marocaine de l'époque était interchangeable avec la jeunesse française.

    "A table !" crie la mère de B. Nous mangeons des sortes de tortillas fourées de viande hachée, avec une salade de tomates, concombre et oignons. L'avantage d'être une femme, c'est qu'on me réserve toujours la chambre où il y a le lit. Je m'endors donc dans un cocon douillet et le calme le plus complet.

  • Arrivée à Rabat

    16h, notre train entre en gare de Rabat-Ville. Yo est ému. La gare est belle, toute blanche. Notre hôtel se trouve à quelques rues de là. Premier constat : le centre-ville de Rabat est bien paisible, en comparaison avec la cacophonie casablancaise. La chambre est simple mais correcte. Tout s'annonce pour le mieux jusqu'au moment où je dois donner mon passeport à l'hôtelier et que je ne le trouve pas dans mon sac à main. Nous retournons nos deux valises, tous les sacs mais j'ai déjà compris : je ne l'ai plus.

    Pas de passeport = pas d'hôtel au Maroc. Première urgence, trouver un endroit où dormir. Heureusement, Yo a tous ses copains marocains à Rabat et il en appelle un, qui nous donne immédiatement rendez-vous au mini-parc de Youssoufia. Nous prenons un "petit taxi", qui ici sont bleus, pour ce quartier populaire de Rabat. Y. est un jeune hommes maigre et sympathique. L'arrivée jusqu'à chez lui est sportive : il pleut et nous dévalons, jambes écartées, entraînés par nos valises à roulettes,  les venelles escarpées et glissantes de ce qui ressemble à une médina, jambes écartées, pour éviter le ruisselet qui coule au milieu.

    rabat, maroc
    Le salon de Y. est pareil à tous les salons marocains : des banquettes tendues de tissu rouge entourent la pièce d'un U et au centre trône une table basse de bois sombre.
    Nous posons nos valises et discutons un peu. Y. se remet difficilement d'une soirée arrosée la veille, il a la gueule de bois et je lui donne du paracétamol. Nous partons au commissariat central pour que je dépose plainte. Yo redoute de longues démarches administratives. On nous fait assoir quelques minutes et je me fais charrier : "T'es sans papiers au Maroc", dit Yo. C'est vrai, Fiso en mode clando, je ne l'avais encore jamais faite, celle-là ...

    Le jeune homme qui nous reçoit, de surcroît très serviable, a du mal à comprendre pourquoi je suis là. Il pense que je veux mon numéro de passeport et me fait assoir à côté de lui pour remplir le formulaire.
    "Le général de Gaulle, c'était un militaire ? Vous êtes mariée ? Ah, célibataire .... dit-il avec un sourire entendu.
    Moins de 30 minutes plus tard, nous sommes dehors. Je dois revenir le lendemain, après être allée au consulat. Le premier contact avec l'administration marocaine a été plutôt agréable et ma contrariété commence à retomber.

    Y. nous propose de dîner à la Véranda mais l'endroit, au-dessus duquel des mains semblent jaillir du mur blanc, est fermé. "Ca vous dit des huîtres ?"
    - Heu, pas trop, je préfèrerais du poisson.
    Nous voici au Yucatan, un de ses bars préférés. En fait d'huîtres, ce sont de grosses moules en sauce tomate qu'on pose devant nous, sur le comptoir.
    "Ce ne sont pas des huîtres Y, ce sont des moules !"
    "Comme des huîtres, comme des moules" répond-il avec un grand sourire.

    Le Yucatan est un bar bien approvisionné en alcools de toutes sortes, et l'on y passe de la bonne musique jazz et blues. Après un long moment, nous montons nous assoir à l'étage où nous sommes rejoints peu après par un jeune homme brun coiffé d'une casquette. C'est B., un autre des copains de Yo, qu'il a connu lors de sa participation à des chantiers sociaux marocains. B. voyage souvent en Europe et en France. Il est vif et souriant et nous fait rire :
    "En France, j'ai juste un problème avec les policiers. Dès que j'arrive à l'aéroport, ils m'arrêtent pour un contrôle : "Bonjour monsieur" et ils me montrent leur carte mais moi, je suis marocain, je ne reconnais pas leur carte. Je sors de l'aéroport, je vais à la gare pour prendre le train, ils m'arêtent pour un contrôle. J'arrive à Paris, dans la rue, ils m'arrêtent pour un contrôle. Tout le temps des contrôles !"

    Vers 23h, nous montons dans la voiture de B, direction le bar-club "Le 5th avenue", dans le quartier d'Agdal. Un groupe y reprend des tubes, comme The Wall de Dire Straits. Il y a très peu de femmes dans le club, et je soupçonne celles qui y sont d'être des prostituées, mais l'ambiance est bonne. Je danse avec les garçons et Y. réclame aux musiciens un standard marocain. Yo et ses yeux bleus font fureur et un vieux, bien éméché, l'invite même à danser. A la faveur d'une pause, le chanteur, visage fin et cheveux longs, vient s'assoir à notre table, il a énormément de charme. Le guitariste a la migraine et je lui file du paracétamol. A défaut d'avoir un passeport, j'ai au moins ça ...

    Vers 2 heures du matin, nous quittons le club. Sur la petite place, Y. s'arrête devant le stand de vendeurs d'escargots. Tiens, jusement, je n'ai jamais goûté ici ce plat de la rue dont les Marocains raffolent. Le vieil homme dépose devant nous des bol remplis de gastéropodes. Yo me conseille de prendre une photo de lui en train d'en manger car l'instant est rare. La tradition veut qu"on avale également un bol du bouillon de cuisson - aux herbes - des escargots. Je vous le dis, rien de tel que le bouillon d'escargots pour se faire une purge ...

    De retour chez Y., nous buvons un dernier thé et notre hôte pose devant nous un seau en plastique blanc et des cuillères pour que nous goûtions la sfoufe, un mélange de sésame et amande moulue, canelle, anis, muscade, beurre et miel. B. a mal au crâne et finit mon tube de paracétamol. Yo et Y. montent fumer une dernière clope sur la terrasse et je me réfugie sous la couverture en fausse fourrure.

    PS : Cette paire d'yeux charbonneux vaut bien celle-là, non ?

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  • Victor, ou quand le futur se fait si proche

    Il la prend en charge devant la gare du Nord, un soir. Après quelques minutes de silence, ils engagent la conversation, sur les balivernes habituelles : d’où elle rentre, les bouchons, la météo, son métier. Il demande si ce n’est pas trop dur pour son petit ami de la voir partir chaque semaine. Sa question tout à fait anodine appuie ce soir là où ça fait mal. Très mal. Dans l’habitacle sombre, les larmes lui montent aux yeux, en une fraction de seconde. Elle ne peut même plus parler. Elle se ressaisit difficilement, tente de plaisanter sur le fait que seules ses plantes se languissent d’elles, et encore, même pas, car elle les a choisies increvables.

    Il s’étonne, une femme « comme elle », pose les questions habituelles, comment , pourquoi, donne les conseils de celui qui ne la connaît pas : sortir, voir du monde, ne pas se refermer sur soi-même. Ils discutent comme deux vieux amis. Le naturel de leur conversation a quelque chose d’incongru et de terriblement humain. Il jette un coup d’œil dans le rétroviseur.

    « Vous avez quel âge ?, demande-t-il.

    –        Quel âge vous me donnez ? » rétorque-t-elle, confiante.

    –        La quarantaine ? »

    –        Merde, vous m’avez ruiné ma soirée, Victor ! D’habitude, on me donne au bas mot 5 ans de moins que mon âge. Décidément, tout fout le camp.»

    Ils rient ensemble et se charrient. Soudain, son ton se fait plus grave et ses yeux noirs l'accrochent dans le rétrovisuer.

     « Écoutez moi, je vais vous raconter une histoire. Peut-être que vous ne me croirez pas, peut-être que vous me prendrez pour un illuminé. J’ai moi-même encore du mal à y croire. Tel que vous me voyez là, j’ai 47 ans. Je suis divorcé et j’ai 2 enfants. Ma femme et moi, on s’est séparés il y a plus de 10 ans. Pendant des années, j’ai traîné sur des sites de rencontre, enchaîné les plans cul. Je me retrouvais au pieu avec des femmes que je ne connaissais pas deux heures auparavant. Au début, c'est la fête, on croque sa liberté à pleines dents. J’en ai profité mais au fur et à mesure, les matins deviennent mornes et on se demande où on va. On se sent merdeux. On perd l’estime de soi. On ne croit plus aux mots d’amour.

    Au printemps dernier, je suis allée passer une journée avec mes enfants au Futuroscope.  Dans l’après-midi, on est à la cafétéria de l’hôtel. Une femme se retourne brusquement, me rentre dedans et je me renverse le café sur la chemise. Elle s’excuse avec un fort accent anglais. En moi-même, je pense « Quelle conne d’anglaise ! » Je dis à mes gosses de m’attendre et je monte dans la chambre me changer, en pestant. Quand je redescends, son enfant a sympathisé avec les miens. Elle m’offre un café pour se faire pardonner et nous nous asseyons ensemble. L’enfant est en fait son petit-fils. Et elle n’est pas anglaise, mais portugaise comme moi. Son accent vient du fait qu’elle vit dans l’Ontario, à quelques kilomètres de la ville dans laquelle j’ai moi-même vécu, enfant. Une sacrée coïncidence. Finalement, on passé toute la journée ensemble. Et depuis, on ne s’est plus quittés. Moi qui m’étais toujours juré de ne jamais sortir avec une portugaise.  

    Je ne sais pas où cette histoire me mènera. Ce n'est pas facile, elle est veuve et ses filles sont très possessives et ne semblent pas prêtes à accepter qu'elle refasse sa vie. Peut-être que le jour où je vous reprendrai en course, je serai seul et malheureux, et je n’y croirai plus, de nouveau. Mais si on m’avait dit, il y a encore quelques mois, que je serais heureux comme je le suis aujourd’hui, je n’y aurais pas cru. Vous savez, la vie, ce n’est que des choix. On prend à droite ou on prend à gauche. On saisit sa chance ou pas. On prend des risques ou on reste au chaud dans ses certitudes. Quand vous perdrez espoir, pensez à ma jolie histoire et s’il vous plaît, continuez à y croire. »

    Devant chez elle, ils ont poursuivi la conversation encore quelques instants. Elle a claqué la porte de la confortable berline et munie de ses bagages, elle a levé les yeux vers la fenêtre où aucune lumière ne brille plus depuis longtemps. Pourtant rien n'a plus terni son sourire intérieur ce soir-là. Victor et son histoire d’amour toute neuve l’auront empêchée de sombrer dans la mélancolie, au moins pour quelques heures. 

    En refermant la porte de son appartement, elle ne souhaite qu’une chose à Victor : que la prochaine fois qu’il arrêtera son taxi devant elle, il soit toujours aussi heureux.