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Gens (d'ici et d'ailleurs) - Page 21

  • Un dîner avec Karim

    Hier, dans la voiture dorée, de fil en aiguille, la conversation a glissé sur la beauté du peuple libanais. M’est alors revenu en mémoire une belle rencontre.

    C’était en septembre 1995, et j’avais eu du pot pour une fois, moi qui ne gagne jamais rien. Faut dire que si je jouais, ça aiderait sûrement.

    Je bossais à l'époque au service de réservations d'une compagnie aérienne. Ma collègue Elise, une longue liane brune vietnamo-danoise, avait gagné, à la faveur d’un concours de « l’agent ayant enregistré le plus grand nombre de réservations », 2 billets aller-retour pour la destination de son choix sur la compagnie Canadian Airlines, disparue depuis. La demoiselle étant mariée et de surcroît maman de 2 adorables bambins, elle avait remis le prix en jeu et j’eus la chance de tirer le gros lot. Je pensai immédiatement à ma meilleure amie qui officie parfois sur ce blog sous le pseudo d’Esperanza. Si l’occasion m’était donnée de fouler le sol canadien, autant aller le plus loin possible. Je jetai donc mon dévolu sur Vancouver, en Colombie-Britannique, idéalement située entre océan - Pacifique - et montagnes.

    Linda, une irlandaise fort sympathique qui bossait pour Canadian Airlines, nous concocta un circuit d’une semaine en or, avec location de voiture et nuits dans des palaces à prix négociés.

    Dans l’avion qui nous emmenait de Montréal à Vancouver, notre accent français attira l’oreille d’un steward fort séduisant, un beau brun au teint mat répondant au prénom de Karim. Il nous confia être de mère française, normande je crois, et de père libanais. Apprenant que c’était notre premier séjour à Vancouver, et disposant de quelques jours de repos, Karim proposa de venir nous chercher à notre hôtel le soir même et de nous sortir en ville.

    A l’aéroport, nous avons récupéré notre voiture de loc’. Rejoindre l’hôtel fut un sacré périple en revanche. C’était ma première expérience de la conduite à gauche et de nuit, de surcroît !  Esperanza essayait tant bien que mal de lire le plan de la ville et moi, je fus prise d’une petite panique lorsqu’elle m’indiqua de tourner à droite. Etant sur la voie de gauche, comment tourner à droite aux carrefours ? En contournant les véhicules ou en les croisant par devant ? Ne voulant pas débuter le séjour par un accident, dans le doute, je décidai de ne tourner qu’à gauche. On a fini par arriver à l’hôtel mais le voyage fut plus long et un mémorable fou-rire a succédé aux premières minutes de stress …

    Karim avait demandé que je l’appelle pour lui indiquer le numéro de notre chambre. Il nous laisserait une heure ou deux pour nous reposer un peu du voyage et passerait nous chercher pour nous emmener dîner. Enfin dans notre chambre (somptueuse), j’appelle notre bel oriental et lui donne notre numéro de chambre, inscrit sur le téléphone. Une bonne douche, un petit somme réparateur et ….5 heures se sont écoulées lorsque nous nous réveillons en sursaut. Pas de nouvelles de notre beau brun ténébreux ! Esperanza conclut, impitoyable « C’est bien un mec ! » mais moi, j’ai du mal à y croire. J'ai toujours été d'un naturel confiant. Après tout, c’est lui qui s’est proposé pour nous sortir. Et il avait l’air si courtois et attentionné … Comme à mon habitude, je redoute qu’il lui soit arrivé quelque chose et décide de l’appeler quand même (je ne suis pas une fille très orgueilleuse).

    Alors ? Que s’est-il passé ensuite, d’après vous ?

    (A suivre…)

  • It's all just a show

    "Un jour dans le métro parisien, 8h du mat, j'avais le moral au fond des chaussettes. Dans ce wagon qui m'amenait à l'abattoir, j'étais la tête basse, au bord des larmes... Doucement, je ne sais pas pourquoi, peut-être pour que le trajet passe plus vite, pour diluer ce début d'eau salée dans mes yeux, dans une vaine tentative de me décoller de mes pensées mais plus sûrement encore dans l'espoir illusoire de trouver autre chose que le collier de stations que je connaissais par cœur, j'ai vaguement levé les yeux. Et là ils ont fait "marche arrière". Je n'avais pas halluciné, quelqu'un s'était amusé à écrire "'n roll" après la station Duroc. Et bien cette personne dans la simplicité de son geste, a sans le savoir réussi à m'arracher un sourire intérieur et m’apporter la lichette de bien-être qu'il me fallait à ce moment très précis. Et je l'en ai remercié."
    (anecdote de PJ lue sur le blog Mes Mots Random)

    Un soir de novembre, en ouvrant la porte sur le vide d'un appartement froid et silencieux, Fiso le petit robot, qui avait bien fait son show toute la journée, s'est écroulée. Longtemps après, quelqu'un a sonné à la porte, elle a hésité, a couru mettre de l'eau fraîche sur ses yeux rougis et a ouvert. Ils sont entrés, se sont assis, ont discuté. Elle les a fait beaucoup rire, ils sont restés longtemps.

    En repartant, le vieux monsieur a dit "Quel plaisir de rencontrer quelqu'un avec une pêche pareille, vous êtes tout le temps comme ça ?" et sa collègue a acquiesé.

    Après leur départ, Fiso a allumé la lumière et mis de la musique gaie. Elle n'avait plus envie de pleurer. Elle a dansé et remercié intérieurement le vieux monsieur.

    Depuis, chaque année, Fiso se répète qu'il faut absolument qu'elle résilie ce contrat d'assurance-décès ...

  • Un baiser de papier

    Nous sortons de mon restaurant japonais préféré, celui ou je me sens comme chez moi et que je voulais lui faire découvrir, anxieuse de connaître son avis.

    "Tu sais, quand tu m'as dit que tu connaissais un bon restaurant japonais, j'ai eu des doutes parce que tu es française", avait-il avoué lors du repas. Et il avait ajouté : "Mais c'est vraiment un très bon restaurant japonais".

    Dans le métro, juste après les portiques, au moment de nous séparer, il me demande, avec un sourire énigmatique : "Ferme les yeux".

    J'obéis et déjà sur mon visage se dessine le sourire d'une petite fille dont les yeux bientôt vont s'ouvrir sur une surprise. Je sais que l'homme qui me fait face ne va pas m'embrasser. Ou alors, d'un baiser chaste, sur le front, par exemple ?

    "Ouvre les mains", dit-il.

    Je joins mes mains ouvertes. Déjà, mon coeur bat plus vite. Un souffle léger comme une plume tombe au creux de mes mains.

    "Tu peux ouvrir les yeux", dit-il. Je vois son sourire, son crâne nu, je baisse les yeux.

    Au creux de mes mains jointes, un oiseau de papier s'est délicatement posé.

    100_2464.JPG

    "C'est un origami ? C'est toi qui l'a fait ?" demandai-je.

    "Oui, c'est un petit grue", répond-il doucement.

    J'ai délicatement pris le fragile oiseau entre mes doigts, l'ai rangé dans mon sac en prenant soin de ne pas l'abîmer.

    Posée sur la commode face à mon lit, la petite grue de papier rouge et blanc veille désormais sur mes nuits. C'est un des plus jolis cadeaux qu'on m'ait faits.

    ["Ori-tsuru", la petite grue en papier, symboliserait la longévité et la paix, en raison d'une jeune fille japonaise appelée Sadako Sasaki. Vous pouvez lire son histoire et apprendre comment réaliser un Ori-tsuru ici]  

     

  • Dans l'métro (1)

    ligne 13.jpgJe suis debout sous les néons blafards d’une station de la ligne 13. Sur le quai opposé, dans un wagon aux couleurs d’acier qui file vers le sud, tu me regardes. Tes dents blanches apparaissent et me décochent un sourire lumineux auquel je répond.

    Mon métro entre dans la station, j’appuie sur le bouton d’ouverture des portes, rabat un strapontin  et m’assied. A droite, dans mon champ de vision, je sens ton visage tourné vers moi. Au moment où ton wagon s’éloigne, je jette un regard, comme pour dire au revoir. Debout, tu agites les bras debout, désespéré, me fais signe d’attendre. Je hausse les épaules avec un petit sourire, genre « c’est la vie ! »

    Pourquoi les hommes français ne peuvent-ils pas se contenter d’un sourire ?

  • C., ou la solitude

    free music

    « Elle n’est pas jolie mais elle a du charme », entend-on souvent. C. n’a ni l’un ni l’autre.  

    Ses cheveux sont mi-longs, d’un blond cendré, sur des racines noires. D’épais sourcils noirs durcissent son visage et quand on s’approche d’elle, on distingue nettement une moustache et des poils épars, aussi noirs que ses sourcils, sur son menton.

    Ses tenues sont provocantes, vulgaires même, et ses rondeurs boudinées dans des vêtements trop étriqués. Elle « cherche » visiblement un homme et flirte ouvertement avec les mâles du groupe. Certains esquivent, gênés, d’autres s’en amusent. Aucun n’est flatté. Les filles qui se croient plus jolies se moquent.     

    Même le soleil ne l’aime pas. Il l’a mordue, infligeant de vilaines traces rouges sur sa peau désespérément blanche. Elle s’en protège désormais en appliquant sur son visage une pâte verdâtre, ramenée de Birmanie. Efficace, visiblement, mais moche.

    Elle ne dégage ni féminité, ni douceur, malgré tous ses efforts. Même son accent, pourtant exotique, est rugueux comme du papier de verre. C. n’aime pas son prochain, et il le lui rend bien. Ou alors c’est l’inverse.

    Au fur et à mesure des jours, les chaises se vident autour d’elle. Quand elle parle, je surprends des sourires goguenards et des mimiques agacées. Deux petites connasses dédiées au culte du corps et du bronzage en cabine ne se gênent pas pour se moquer ouvertement d’elle. La nature humaine est riche d’enseignements.

    Sur la piste de danse d’un club quelconque, seule au milieu du groupe, elle danse étrangement, en sautillant. J’aime bien la regarder danser, elle a le rythme. C’est le seul moment où, les yeux fermés, un sourire à peine perceptible sur les lèvres, elle semble un peu heureuse. Un garçon, le crooner du groupe, beau brun aux yeux verts, allumeur, s’approche et se frotte à elle. Je les regarde et mes sentiments oscillent entre gêne, pitié et agacement. Agacement parce que je sais qu’il la méprise et j’ai peur qu’il ne s’amuse à ses dépens. Une fille du groupe, par ailleurs adorable, se penche vers moi et dit « Le sein de C. ne va pas tarder à jaillir de son tee-shirt… ».

    Je reste songeuse. M., avec laquelle je bois un verre, observe aussi la scène. La conversation dévie sur C., et plus généralement sur la bêtise et la méchanceté des gens qui préjugent de l’intelligence d’autrui.  

    C. parle fort et rit souvent, aux éclats même. Un rire forcé, en totale contradiction avec ses yeux bruns inexpressifs. C’est ce regard qui m’a fait entrevoir des blessures secrètes ; il est vide de toute émotion, comme celui que promènent sur le monde les êtres qui ont trop souffert.

    C. vient d’un pays issu de l’ancien empire soviétique. Quand j’ai demandé ce qui l’avait amenée en France, elle a répondu presque sèchement « des raisons personnelles ».

    Un soir, dans le restaurant d’un port animé, nous sommes assises à la même table. Elle a bu, un peu trop, elle est euphorique et parle fort. Un musicien s’approche et nous ayant identifiés, commence à jouer sur son accordéon, « La vie en rose » et autres standards des répertoires français et anglo-saxons. C. commence à chanter, en français et en anglais. Sa voix est belle et je m’étonne de sa connaissance de notre répertoire après seulement 7 ans en France.

    Le musicien se plante alors devant elle et entame « Le temps des fleurs ». Vous savez, cette chanson dont nous connaissons tous la reprise, en français, de Dalida. Je fredonne doucement « C’était le temps des fleurs, on ignorait la peur, les lendemains avaient un goût de miel … ».

    Soudain, la voix de C. enfle et accompagne l’accordéon de mots inconnus. Dans une langue magnifique, mystérieuse et difficile à apprivoiser, elle redonne son origine à cette chanson traditionnelle russe, « Dorogoï dlinnoyu »,comme le fit Ivan Rebroff [lien] à la fin des années 60.

    C. chante, le regard soudain perdu dans un monde appartenant au passé. Elle regarde droit devant elle mais ne me voit plus. Elle a oublié les regards moqueurs et les rires sous cape de ceux qui la raillent et qui n’ont jamais connu l’exil. Le cœur serré par la mélodie triste et sa voix qui pleure la terre natale, je vois son sourire disparaître et ses yeux se brouiller.

    Et moi, la fille de nulle part et de partout à la fois, attachée à aucune terre et amoureuse de toutes, je suis bouleversée, comme à chaque fois que je perçois la tristesse d'un exilé, et je la trouve belle.