Ce soir, si vous vous trouvez devant votre poste de télé, je vous encourage à regarder le très beau film "Gandhi" de Richard Attenborough. A l'occasion de l'anniversaire de l'indépendance de l'Inde, le 15 août (1947), le Nouvel Obs consacre un dossier spécial au Mahatma, dans lequel la parole a été donnée à sa famille et les témoins de sa vie.
Adolescente, j'avais été bouleversée à la lecture de sa biographie, par la vie, la résistance de ce petit homme et son assassinat. A sa mort, Einstein dit de lui "que les générations futures auront du mal à croire qu'un tel homme de chair et de sang ait réellement existé".
Le témoignage du petit-fils et des proches de Gandhi m'apprit plusieurs choses sur l'homme.
Marié à 12 ans, il n'a jamais pardonné à son père de lui avoir imposé un mariage si jeune et n'a eu de cesse de dénoncer les unions enfantines.
A 19 ans, il partit étudier à Londres, ce qui lui valut d'être exclu de sa caste. C'est là qu'il découvre le christianisme. Fasciné par la figure du Christ, qui n'a pas d'équivalent dans l'hindouisme, il lit la Bible et se rend beaucoup plus souvent dans une église que dans un temple hindou. Il cherche sa voie spirituelle. Plus tard, en Afrique du Sud, il lit Léon Tolstoi et est bouleversé par son "Royaume des Cieux est en vous". Il se posera longtemps la question de sa conversion au christianisme, mais s'y refusera pour deux raisons. La première, c'est qu'il refuse de croire que Jésus est le seul enfant de Dieu. La seconde, c'est parce qu'il faudrait alors se défaire de l'hindouisme, et donc d'une partie de lui-même.
J'avais oublié qu'il avait vécu 20 ans en Afrique du Sud. Confronté au racisme anti-indiens, Gandhi se lance d'abord dans la défense des indiens au sein du système. Infirmier au sein de l'armée anglaise qui se bat contre les zoulous, témoin de viols et d'atrocités, c'est là que sur le champ de bataille, il a l'Illumination et découvre sa mission : "propager la vérité et la non-violence". Dans la foulée, il fait voeu de chasteté et de pauvreté, pour "être totalement libre".
Le peu de goût de Gandhi pour le sexe est dû au fait qu'il associa très tôt le sexe à la mort. Alors que, jeune marié, il veillait son père gravement malade depuis plusieurs jours, Gandhi rejoignit sa jolie épouse, quelques heures, pour faire l'amour. Au sortir de ces ébats, il apprit que son père venait de mourir, seul. Plus tard, Gandhi écrira "les femmes sont la source de tous les maux".
De la même façon, Gandhi renonce aux joies du palais. La nourriture devait être saine mais sans goût et strictement végétarienne. Il interdisait également le sel et les épices, qui "éveillaient les sens".
Gandhi se soucie peu de sa famille. Rien ne compte vraiment en dehors de la libération de son pays par la non-violence. Son fils aîné souffrira particulièrement de la vie de pauvreté que Gandhi leur impose, du jour au lendemain. Il se mettra à boire et à jouer, et mourra dans la déchéance et la misère, cinqu mois après son père.
Un des préceptes de Gandhi a particulièrement résonné en moi, en ces temps ou les lois les plus injustes, la violence et le mépris de l'être humain ne rencontrent plus guère que passivité et soumission. C'est le concept de "désobéissance civile". Très inspiré par l'écrivain américain David Thoreau, inventeur de ce concept, Gandhi estime que les citoyens ont le droit et le devoir de désobéir aux lois immorales. Il estime aussi que ce qui serait acquis par la violence ne pourrait être maintenu que par la violence.
J'appris aussi que Churchill vouait une haine féroce à Gandhi. Quand il l'enferme en 42 et que Gandhi entame une grève de la faim, il ne le libère que parce qu'un médecin lui assure que Gandhi est sur le point de mourir et qu'il vaudrait mieux qu'il s'éteigne en dehors de la prison, pour ne pas déclencher d'incidents. Libéré, le Mahatma survit et reprend la lutte. Churchill est furieux.
Les prises de position de Gandhi envers Israel et les juifs ont fait l'objet d'une forte controverse. Pendant la seconde guerre mondiale, ils les exhortent à s'opposer aux crimes nazis par la non-violence et à "accepter la souffrance, voire le massacre". Dans le même article, il dénonce violemment le sionisme. Cela lui vaudra d'être accusé par le philosophe Martin Buber de chercher à tout prix à préserver "l'unité hindo-musulmane", ce que Gandhi démentira. Après la guerre, il continuera à s'opposer publiquement à la création de l'état d'Israel.
Lorsque l'indépendance tant attendue est proclamée en 1947, Gandhi ne se réjouit pas. Désespéré par la création du Pakistan, les massacres qu'elle provoque et qu'il ne parvient pas à stopper malgré ses supplications, il déclare avoir changé et semble ne plus croire en la non-violence. Ses propositions dérangeantes, notamment ses déclarations en faveur d'une femme intouchable comme présidente de l'Inde, en ont fait un personnage gênant qui sera éliminé un an après l'indépendance de l'Inde. Reste la principale figure morale du 20ème siècle, qui inspira Martin Luther King, Lech Walesa et Nelson Mandela.
A lire :
"Autobiographie ou mes expérience de vérité" par Gandhi (PUF, 2003)
"Résistance non-violente" par Gandhi (Buchet-Chastel, 2007)
"Cette nuit la liberté", par Dominique Lapierre et Larry Collins (Pocket, 1975)
(L'épopée de l'indépendance de l'Inde).