16h, notre train entre en gare de Rabat-Ville. Yo est ému. La gare est belle, toute blanche. Notre hôtel se trouve à quelques rues de là. Premier constat : le centre-ville de Rabat est bien paisible, en comparaison avec la cacophonie casablancaise. La chambre est simple mais correcte. Tout s'annonce pour le mieux jusqu'au moment où je dois donner mon passeport à l'hôtelier et que je ne le trouve pas dans mon sac à main. Nous retournons nos deux valises, tous les sacs mais j'ai déjà compris : je ne l'ai plus.
Pas de passeport = pas d'hôtel au Maroc. Première urgence, trouver un endroit où dormir. Heureusement, Yo a tous ses copains marocains à Rabat et il en appelle un, qui nous donne immédiatement rendez-vous au mini-parc de Youssoufia. Nous prenons un "petit taxi", qui ici sont bleus, pour ce quartier populaire de Rabat. Y. est un jeune hommes maigre et sympathique. L'arrivée jusqu'à chez lui est sportive : il pleut et nous dévalons, jambes écartées, entraînés par nos valises à roulettes, les venelles escarpées et glissantes de ce qui ressemble à une médina, jambes écartées, pour éviter le ruisselet qui coule au milieu.
Le salon de Y. est pareil à tous les salons marocains : des banquettes tendues de tissu rouge entourent la pièce d'un U et au centre trône une table basse de bois sombre.
Nous posons nos valises et discutons un peu. Y. se remet difficilement d'une soirée arrosée la veille, il a la gueule de bois et je lui donne du paracétamol. Nous partons au commissariat central pour que je dépose plainte. Yo redoute de longues démarches administratives. On nous fait assoir quelques minutes et je me fais charrier : "T'es sans papiers au Maroc", dit Yo. C'est vrai, Fiso en mode clando, je ne l'avais encore jamais faite, celle-là ...
Le jeune homme qui nous reçoit, de surcroît très serviable, a du mal à comprendre pourquoi je suis là. Il pense que je veux mon numéro de passeport et me fait assoir à côté de lui pour remplir le formulaire.
"Le général de Gaulle, c'était un militaire ? Vous êtes mariée ? Ah, célibataire .... dit-il avec un sourire entendu.
Moins de 30 minutes plus tard, nous sommes dehors. Je dois revenir le lendemain, après être allée au consulat. Le premier contact avec l'administration marocaine a été plutôt agréable et ma contrariété commence à retomber.
Y. nous propose de dîner à la Véranda mais l'endroit, au-dessus duquel des mains semblent jaillir du mur blanc, est fermé. "Ca vous dit des huîtres ?"
- Heu, pas trop, je préfèrerais du poisson.
Nous voici au Yucatan, un de ses bars préférés. En fait d'huîtres, ce sont de grosses moules en sauce tomate qu'on pose devant nous, sur le comptoir.
"Ce ne sont pas des huîtres Y, ce sont des moules !"
"Comme des huîtres, comme des moules" répond-il avec un grand sourire.
Le Yucatan est un bar bien approvisionné en alcools de toutes sortes, et l'on y passe de la bonne musique jazz et blues. Après un long moment, nous montons nous assoir à l'étage où nous sommes rejoints peu après par un jeune homme brun coiffé d'une casquette. C'est B., un autre des copains de Yo, qu'il a connu lors de sa participation à des chantiers sociaux marocains. B. voyage souvent en Europe et en France. Il est vif et souriant et nous fait rire :
"En France, j'ai juste un problème avec les policiers. Dès que j'arrive à l'aéroport, ils m'arrêtent pour un contrôle : "Bonjour monsieur" et ils me montrent leur carte mais moi, je suis marocain, je ne reconnais pas leur carte. Je sors de l'aéroport, je vais à la gare pour prendre le train, ils m'arêtent pour un contrôle. J'arrive à Paris, dans la rue, ils m'arrêtent pour un contrôle. Tout le temps des contrôles !"
Vers 23h, nous montons dans la voiture de B, direction le bar-club "Le 5th avenue", dans le quartier d'Agdal. Un groupe y reprend des tubes, comme The Wall de Dire Straits. Il y a très peu de femmes dans le club, et je soupçonne celles qui y sont d'être des prostituées, mais l'ambiance est bonne. Je danse avec les garçons et Y. réclame aux musiciens un standard marocain. Yo et ses yeux bleus font fureur et un vieux, bien éméché, l'invite même à danser. A la faveur d'une pause, le chanteur, visage fin et cheveux longs, vient s'assoir à notre table, il a énormément de charme. Le guitariste a la migraine et je lui file du paracétamol. A défaut d'avoir un passeport, j'ai au moins ça ...
Vers 2 heures du matin, nous quittons le club. Sur la petite place, Y. s'arrête devant le stand de vendeurs d'escargots. Tiens, jusement, je n'ai jamais goûté ici ce plat de la rue dont les Marocains raffolent. Le vieil homme dépose devant nous des bol remplis de gastéropodes. Yo me conseille de prendre une photo de lui en train d'en manger car l'instant est rare. La tradition veut qu"on avale également un bol du bouillon de cuisson - aux herbes - des escargots. Je vous le dis, rien de tel que le bouillon d'escargots pour se faire une purge ...
De retour chez Y., nous buvons un dernier thé et notre hôte pose devant nous un seau en plastique blanc et des cuillères pour que nous goûtions la sfoufe, un mélange de sésame et amande moulue, canelle, anis, muscade, beurre et miel. B. a mal au crâne et finit mon tube de paracétamol. Yo et Y. montent fumer une dernière clope sur la terrasse et je me réfugie sous la couverture en fausse fourrure.
PS : Cette paire d'yeux charbonneux vaut bien celle-là, non ?