Prendre un café, sous la halle qui abrite le marché de ma ville, le dimanche, est un plaisir solitaire que je m’offre parfois.
D’ailleurs, quand je débarque dans une ville inconnue, je profite des jours de marché pour m’y imprégner de son caractère. Et lorsque je me suis expatriée, nos marchés sont sans doute les moments de bonheur qui m’ont manqué le plus cruellement. Un de mes plus beaux souvenirs de marché, c'est celui de Saintes dans lequel je me perdais avec un monsieur qui n'eût pas le temps d'être vieux. Nonchalant, la casquette vissée sur la tête, il me demandait invariablement, pour la forme puisqu'il connaissait la réponse, "Tu veux des céteaux ?"
Je débarque toujours au marché de ma ville dans la dernière demi-heure précédant la fermeture. J’ai en tête une vague liste de victuailles, généralement composée de poissons et primeurs, mais bien souvent, je me perds entre bavardages et rêveries, je flâne, régale mes yeux d’un festival de couleurs et mes oreilles des bribes de conversation saisies ici ou là, et je repars le panier vide.
J’aime particulièrement l’ambiance de fin de marché, les maraîchers se lâchent, déconnent et se charrient, dans de grands fracas de chariots et bacs en plastique.
Les salades étalent leur chevelure, frisée ou soyeuse, tentant d’aguicher les derniers flâneurs, les fromages font de la crème, les étals du poissonnier dégoulinent et moi, je palpe et hume, vacarme, lisse et velouté.
Je me dirige droit vers le comptoir en formica, entre la boulangère, le stand de thés en vrac et les primeurs, je commande un espresso et me positionne de façon à avoir une vue d’ensemble. Il m'est arrivé de regretter de ne pas vivre dans une ville de province où je pourrais donner rendez-vous à mes amis pour le café dominical et puis, je réalise qu’alors, j’aurais les yeux rivés sur eux et pas sur le monde qui m’entoure, et je chéris ma solitude.
Au marché, il y a aussi un petit plaisir que toutes mes lectrices partagent, sans doute. C’est celui de se faire gentiment draguer, avec une légèreté et un humour tels qu’on ne peut y répondre qu’avec le sourire.
Mon petit plaisir du dimanche, à moi, c’est ce poissonnier aux cheveux noirs et magnifiques yeux bleus qui me demande à chaque fois ce qu’il doit ramener pour le déjeuner. Hier, un de ses collègues l’a pris de vitesse et s’est chargé de préparer les quatre dorades qui me faisaient de l’œil, échouées sur leur lit de glace. Mon poissonnier me guettait du coin de l’œil
« Mademoiselle, on s’occupe de vous ? »
« Oui, oui, merci »
« Faut pas croire, hein, je m’inquiète … »
« Je sais, je sais, je vous connais »
« Pas assez à mon goût », répond-il
« Laissons-nous un peu de mystère », lui lançai-je avec un clin d’œil.
Avant que je ne me sauve, le coquin m’a désigné son tablier, sur lequel on peut lire son prénom et son numéro de portable.
S’il avait vu comment j’ai pété la carapace au dernier tourteau qui a croisé mon chemin, pas sûre qu’il ferait autant le malin …