Après de longues minutes d'attente à un carrefour, nous avons abandonné l'idée de trouver un taxi et traîné ma valise dans la poussière et sur les trottoirs défoncés de la rue Lalla Asmaa jusqu'à la gare de Fès. Le trajet est loin d'être agréable ...
Nous achetons nos billets (20 drh) et prenons le train de 12h50 en gare de Fès.
Dans le wagon, j'achève le chapitre de "Femmes de dictateur" concernant Lénine, dont je me demande bien pourquoi il est taxé de dictateur par Diane Ducruet, et apprend que le quartier de la porte d'Orléans à Paris fut très fréquenté par les révolutionnaires russes. J'y avais d'ailleurs trouvé les traces de Lénine.
La gare de Meknès ne dispose pas de consigne, nous allons donc devoir les traîner avec nous. Les taxis sont rares. Sur l'avenue Mohamed V, une femme en hèle un pour nous et le vieux chauffeur édenté, auquel je raconte que mon grand-père est venu faire son service militaire ici à la fin des années 40, nous apprend que Meknès est la troisième ville militaire du Maroc, après Marrakech et Kenitra, et le premier aéroport militaire d'Afrique.
Meknès est d'abord l'une des quatre cités impériales du Maroc et l'ancien siège du sultanat marocain. Moulay Ismail (1672-1727), sultan sanguinaire qui fit de Meknès sa capitale, contribua grandement à l'essor culturel du Maroc, chassa les Britanniques de Tanger et reprit aux Espagnols une grande partie de leurs possessions marocaines. Après la mort de cet homme qui marqua l'histoire du pays, Meknès perdit son aura au profit de Fès et Marrakech. Avec le début du protectorat, en 1912, la ville devint le quartier général de l'armée française et les colons s'installèrent dans les alentours jusqu'à l'indépendance en 1956. Vous pouvez lire l'histoire de ce célèbre sultan ici.
Notre chauffeur nous dépose devant Bab al-Mansour, la plus imposante des portes impériales marocaines, derrière laquelle s'étend la cité impériale :ambiance.
Il est 14h, nous avons très faim et cherchons le restaurant des Mille et Une Nuits, à proximité de la place el-Hedim. A l'entrée d'une ruelle, un petit garçon nous guide et soulève une tenture sur une très belle pièce au plafond en bois peint, murs couverts de zeilliges et panneaux de bois au centre de laquelle un joyeux bazar s'entasse : matelas, chaussures et lits d'appoint. Deux femmes en train d'astiquer le sol se redressent en gloussant.
"Le restaurant est ouvert ?" "Oui, oui !" Elles nous fraient un passage au milieu du tas de bordel et nous installe sur des banquettes de velours, dans une pièce au fond. Le restaurant est désert, bien sûr. La carte est alléchante; des tajines, des pastillas, aux alentours de 90 drh (le guide mentionnait une fourchette allant de 45 à 85). Il est clair que les établissement figurant dans les guides touristiques pratiquent des prix plus élevés que dans les établissements standards. "C'est l'heure du ménage ?" demandé-je à la dame. Elle m'explique qu'il y a eu une fête la veille dans la maison, d'où les lits et les matelas. La sitaution est cocasse.
La cocotte minute pchipchitte allègrement, une bonne odeur nous chatouille les narines mais nous rongeons notre frein pendant près d'une heure. "On ne va plus avoir beaucoup de temps pour la visite", fait remarquer Yo.
Après plus d'une heure d'attente (c'est le prix du tout frais fait maison !), un jeune garçon dépose devant moi une pastilla saupoudrée de canelle et de sucre glace, et devant Yo un tajine de poulet aux figues sèches. Nous faisons moitié-moitié. Ma pastilla est absolument divine, la pâte feuilletée d'une légèreté aérienne et le fourrage de poulet aux amandes concassées délicieux. Yo se régale aussi et je lui pique des figues. Mes photos ne sont pas terribles car l'endroit est sombre mais je vous assure qu'on s'est régalés !
Le patron du restaurant propose de garder nos valises pendant que nous visitons la ville, c'est très sympa et ça nous arrange bien ...
Nous retournons sur la place el-Hedim, sur laquelle la lumière est magnifique. M'est avis que cette photo pourrait faire l'objet d'un très beau tableau de notre artiste-peintre familiale ...
Sur la place, l'animation commence à grandir. Il paraît que la municipalité de Meknès voudrait en faire un équivalent de Djemaa el-Fna à Marrakech ... Pour l'heure, le charmeur de serpents ne parvient pas à réveiller les siens, assoupis.
Il nous reste 1h15 pour visiter la ville. Nous optons pour la meilleure solution en cas de timing serré : un tour de la ville en calèche. Le jeune homme porpose 160 drh pour une visite complète de tous les incontournables de la ville et promet de tenir notre timing. Yo doute mais nous tombons d'accord sur 120 drh. Top chrono, c'est parti !
Devant le mausolée de Moulay Ismail, nous sautons de la calèche pour visiter - gratuitement - la sépulture de cet homme si important. Hélas, la salle funéraire, principal intérêt de ce site et supposément sompteuse, n'est pas ouverte aux non-musulmans. Nous nous contentons donc de poser dans une des cours peintes d'un jaune flamboyant et ornées de magnifiques zelliges.
Les horloges ornant le mausolée auraient été offertes par Louis XIV à Moulay Ismail lors de son refus de lui accorder la main de sa fille, la princesse de Conti [source].
En chemin dans les larges avenues, notre jeune conducteur nous apprend que la muraille qui entoure le palais royal fait 5 kms et celle qui entoure la medina, 45 kms. Une brise légère, conjuguée au soleil, rend la balade très agréable. Meknès est une ville calme et très reposante en comparaison de Fès, Rabat, Casa ou Marrakech.
Après le mausolée, on traverse le mechouar (place d'armes), aujourd'hui place Lalla Aouda, où Moulay Ismail passait en revue sa fameuse Garde Noire, unité d'élite composée de 16 000 escalves d'Afrique Noire, dont même les enfants étaient élevés pour servir dans cette garde.
Plus loin, on arrive sur la koubba as-Soufara où le jeune homme désigne, à droite, la prison des Chrétiens, ce que conteste notre guide et ce site, qu parle d'entrepôts de nourriture. A gauche s'étend le golf aménagé dans l'ancien jardin des sultanes.
Plus loin encore, le quartier aux esclaves, dont la plus grosse partie était espagnols et portugais, mais aussi italiens et français :
"En 1708, le sultan Mûlây Ismâ'îl, qui fit dénombrer tous ses esclaves “en trouva huit cents et fut surpris d'en avoir un si grand nombre”19. Les Français étaient au nombre de 200, il y avait 400 Espagnols, 200 Portugais, quelques Italiens et Hollandais. En 1711, le religieux espagnol Juan de la Concepcion souligne la présence de 1000 chrétiens dans les prisons de Meknès20, et 1100 captifs en 1720, dont 296 Anglais qui furent rachetés en 172121. En 1728, tous les captifs portugais sont rédimés22 et en 1736, c'est le tour des Espagnols ; la prison resta à peu près vide." [source]
Nous posons le pied à terre devant Heri es-Souani, les immenses écuries et greniers de Moulay Ismail, qui pouvaient acceuillir 12 000 chevaux et leur nourriture. La visite coûte 10 drh et si les écuries présentent peu d'intérêt, la lumière du soleil sur la rangée de voûtes en ruine, à perte de vue, est de toute beauté.
Au nord du Heri es-Souani s'étend le bassin de l'Agdal, alimenté par un système de canaux de 25 kms de long et destiné à l'époque à l'irrigation des jardins royaux.
Sur les bancs de pierre qui entourent le bassin, la jeunesse meknassi prend le soleil.
Avant de rejoindre la porte Bab al-Mansour, nous apercevons les balcons de bois de l'ancien quartier juif et traversons un marché très animé.
Notre guide a tenu parole. Disposant de si peu de temps, nous n'aurions pu espérer meilleur aperçu de la ville. Déjà enthousiaste à l'idée de visiter Meknès, j'ai trouvé la ville très belle et reposante, offrant de multiples points d'intérêt, la population sympathique et me promets d'y revenir.
Meknès mérite au moins une nuit sur place, d'autant plus qu'à une trentaine de kilomètres de la ville se trouvent les célèbres ruines romaines de Volubilis. Sur ce site, on propose de sympathiques balades dans Meknèset ses environs.
Nous traversons de nouveau la place el-Hedim et retournons chercher nos valises dans le restaurant. Lorsque je soulève la tenture, les femmes crient "Chkoun ?", ce à quoi Yo répond : "C'est nous !". Chkoun, ça veut donc dire "Qui c'est ?"
Un taxi charge ma valise verte sur son toit - mon cadeau d'anniversaire est déjà bien rentabilisé mais elle douille, la pauvre - et nous dépose à la gare d'où nous prenons un train pour Rabat. Ce retour en arrière est hélas obligatoire pour que je récupère le laissez-passer qui me permettra de prendre l'avion dans 3 jours.
PS : Ce billet est très long et proportionnel à mon intérêt pour cette très belle étape de mon voyage.