J'ai très bien dormi et même l'appel à la prière, à l'aube, m'a bercée. Après seulement une journée, je maîtrise parfaitement le tirage de chasse d'eau sans chasse d'eau - il n'y en pas chez Y. - et balance mon seau d'eau sans m'éclabousser les pieds. En revanche, j'écourte la douche glacée même si ça retend les tissus (il n'y a plus d'eau chaude chez Y., la réparation est prévue mais quand ?)
La première urgence, maintenant que mon chef de projet préféré m'a envoyé mon n° de passeport par sms, est d'aller au consulat français. Ben oui, parce que j'ai bien pensé, il y a des années, à faire des photocopies de tous mes papiers, permis de conduire inclus, mais elles sont restées chez moi. Vachement utile, hein ?
En y réfléchissant bien, je penche plutôt pour le vol de mon passeport que sa perte. Je ne l'ai pas sorti une seule fois de mon sac depuis mon arrivée et je pense que c'est dans la médina des Habbous, à Casablanca, que je me suis fait voler. Il nous est revenu en mémoire l'instant où un gamin a tendu à Yo une carte de visite d'un restaurant parisien, tombée de mon sac. Plus probablement, c'est celui qui y a plongé la main qui l'a faite tomber. Je n'ai jamais aimé ce sac et j'ai manqué de prudence, voilà, punie.
Au delà des venelles calmes de la médina, nous retrouvons l'agitation des abords du mini-parc de Youssoufia. Yo pointe la façade d'un immeuble "Tu sais ce que c'est ? En tout cas, ça ne donne pas envie d'y aller ..."
Au consulat français, j'attends très peu et un homme très gentil me reçoit. "Vous ne faîtes pas votre âge" dit-il. Merci monsieur. Il gratifie son mail de la mention URGENT car sans papiers, je suis bloquée à Rabat. Avec un peu de chance, il aura une réponse lundi.
Nous retournons ensuite au commissariat central où j'ai commencé la procédure de plainte la veille mais là, on nous envoie au comissariat du 2ème arrondissement dont dépend la gare où, officiellement, le vol s'est produit. Au premier étage, dont les couloirs sont bardés d'intercitions de fumer, un fonctionnaire dans un costume trop grand, clope au bec, nous fait assoir dans un nuage de fumée. Il n'a visiblement jamais entendu parler de la Nouvelle-Calédonie et veut absolument que je sois née en Californie. "Celui-là il est typique" dit Yo. Le fonctionnaire m'envoie acheter un timbre fiscal de 20 drh juste à côté et tend mon dépôt de plainte en demandant si je suis satisfaite.
Nous retrouvons Y. devant l'hôtel Balima, il nous emmène dans sa famille à Salé, la ville qui fait face à Rabat, juste de l'autre côté du fleuve Bou Regreg. Pour y aller, on prend le tram, mis en circulation depuis 6 mois et très beau avec son plafond reproduisant des zelliges.
Après avoir franchi le pont Hassan II, nous sommes à Salé; la famille de Y. habite un bel appartement dans une résidence toute neuve. Une petite fille chaussée de lunettes nous ouvre la porte et dans un grand sourire, dévoile ses dents du bonheur. Hiba est facétieuse et du haut de ses 6 ans, pas timide du tout. Elle commente, en arabe, le dessin animé qui pass à la télé et apporte son cahier de jeux où elle reproduit des phrases en français. Sa maman arrive bientôt, une jolie jeune femme aux yeux ourlés de noir, qui porte le petit dernier sur son dos.
Y. amène un grand plat dans lequel se trouve un couscous de carottes, oignons, haricots verts et potiron et de la viande. Ca fait du bien de manger car je n'ai avalé qu'un pain au chocolat et du thé depuis le réveil. Après ce bon repas, nous nous assoupissons tous les trois - enfin, surtout moi, apparemment - sur les banquettes, jusqu'à l'arrivée de la mère de Y. qui rentre d'une cérémonie de mariage ratée. Elle ne parle pas français mais étreint Yo qu'elle connaît bien et je profite des formules de politesse pour parfaire mon vocabulaire arabe : la bes, qu'elle répète plusieurs fois.
Y. me propose de l'accompagner pour acheter des pâtisseries. Dans une boulangerie, il choisit des tartelettes à la crème pâtissière et aux fruits. Devant la boutique, une femme cuit des pains ronds qu'elle retourne inlassablement. De retour à l'appartement, toute la famille se réunit autour d'un thé. ur la table, il y a les tartelettes et des portions de Vache Qui Rit, dont la mère de Y. enduit des rghaifs. Moi je les mange nature et j'aime beaucoup ça.
La nuit est tombée lorsque nous prenons congé de la famille. Au moment du départ, j'apprends un nouveau mot au contact des joues rebondies de Hiba : bouss (bisou en arabe)
Nous montons dans un "grand taxi", tellement grand que nous sommes 4 à l'arrière et 3 à l'avant, soit 7 personnes au total. Y. nous emmène manger au snack La Renaissance, sur l'avenue Mohamed V, où les seules femmes sont européennes. L'endroit est très enfumé et rempli d'hommes qui alignent les bouteilles de Flag. Prudente car les intestins un peu sensibles après le bouillon d'escargots, je choisi un filet de merlan et ne mange que du riz, délaissant les crudités. J'observe à la dérobée le manège du type qui dîne seul, à ma droite : caché derrière une casquette en lainage, des lunettes et une épaisse moutache poivre et sel, il ne perd pas une miette de la conversation de ses voisins en plissant les yeux, un sourire aux lèvres. Il y a quelque chose de parfaitement burlesque dans ce Hercule Poirot local.
Yo, épuisé, ne mange que des frites; avant de rentrer avec lui, ne me sentant ni l'énergie ni l'envie d'enchaîner une soirée comme celle de la veille, nous achetons des rouleaux de papier toilette, oui car ça non plus, il n'y a pas chez Y., ni dans la plupat des cafés où nous allons. Au Maroc, toujours avoir un rouleau de PQ sur soi !
De retour dans la maison, je blogue jusqu'à presqu'une heure du matin, reçois quantité de messages d'un admirateur loin d'être anonyme, et m'endors sans difficulté.