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2yeux2oreilles - Page 61

  • La femme-pansement

    Elle recontacte un collègue, perdu de vue depuis des années. Seule depuis quelques mois, déprimée, elle a besoin de se refaire un cercle d'amis avec lesquels sortir. Les siens ont tous fondé famille. Il répond à son mail d'un ton enjoué, visiblement enchanté de cette réapparition. Il est seul depuis quelques mois et déprimé, lui aussi.

    Ils se retrouvent dans un café, un soir de janvier. Il est moins séduisant que dans son souvenir. Tout à fait quelconque, même.

    Quelques soirées plus tard, elle se laisse embrasser, sans conviction. Les sens font le reste.
    Au petit matin, son regard brun est plein de gratitude. D'autres matins viennent jusqu'à celui où il la pique, une première fois. Elle encaisse le coup, espère que la lueur de ses yeux ne s'est pas ternie, ne dit rien. Il lui écrit des mails où il dit tout le bien qu'elle lui fait : "Tu m'as permis de rester un homme quand je me voyais comme une serpillère."

    Un autre matin vient où il ressent le besoin d'exprimer l'inutile, le superflu, le tacite : "Le jour où je rencontrerai quelqu'un, je te le dirai tout de suite."   
    Cette fois c'est trop. Quelques jours plus tard, elle met fin à leur relation. Reçoit un mail assassin, puis d'autres, qu'elle parcourt, sans comprendre. Ils ne sont pas restés amis, il ne lui a jamais pardonné. Pardonné quoi ?

    aime-toi et on t'aimera

    Le hasard la remet en relation avec un ami très cher, perdu de vue depuis des années. Ils se sont connus au lycée et sont sortis ensemble, de façon épisodique. Seule depuis quelques années, apaisée, elle s'est constitué un cercle de connaissances et ami(e)s avec lesquels elle partage de nombreuses sorties. Il l'appelle un soir, elle est très émue d'entendre sa voix, il veut la voir tout de suite.

    Le jeudi suivant, il s'avance vers elle devant la gare du Nord. Il est encore plus beau que dans son souvenir. Les boucles de ses cheveux noirs sont tissées de gris, les chagrins ont laissé sur son visage, autrefois poupon, de légères griffures, sa démarche est toujours aussi féline.

    Il est seul depuis quelques mois et dans le restaurant où ils se racontent les joies et les blessures des dix années écoulées, l'émotion est palpable. De retour chez elle, où il l'a déposée, elle reçoit un sms de lui : "I'm so excited !" Elle sourit de sa spontanéité, s'interroge quelques instants sur l'ambiguité du message et s'endort, le sourire aux lèvres.

    Quelques soirées plus tard, il la soulève enfin dans ses bras et l'embrasse. L'amour qu'ils se portent depuis si longtemps fait le reste.
    Au petit matin, son regard brun est mâtiné de gêne. D'autres soirées et d'autres nuits se suivent, où ils refont le monde et l'amour. Ses amis s'étonnent de cette relation qui dure mais n'évolue pas. Elle invoque leur attachement à la liberté, leur peur de l'échec. Pourtant, certains soirs, elle est triste et il n'est pas là.

    Un jour où le nombre de leurs nuits ensemble a atteint trois chiffres, il confie que sa solitude lui pèse. Il la câline, lui fait passionément et rageusement l'amour et elle pose enfin la question qui lui brûle les lèvres depuis plusieurs mois :"Pourquoi on n'a jamais essayé de faire un bout de chemin ensemble ?"
    Elle connaissait la réponse à sa question. Elle avait compris, depuis longtemps. Elle voulait juste être rassurée. Il sera à jamais son ami, et peut-être même qu'au soir de leur vie, ils se retrouveront enfin, qui sait ?  

    aime-toi et on t'aimera

    Elle recontacte un copain avec lequel elle s'est brouillée, il y a quelques années. Ils ne sont jamais sortis ensemble. Seule depuis de longues années, stabilisée, elle n'a plus grand-chose à se prouver, si ce n'est qu'elle peut encore aimer et être aimée. Il lui écrit un soir, propose de partager des sardines grillées dans un troquet de Ménilmontant. Elle trouve la proposition pleine de fraîcheur et accepte, ravie.

    Le vendredi suivant, il marche vers elle, sur un trottoir animé. Il est comme dans son souvenir, juste un peu plus cabossé.

    Dans le bistrot bondé où des musiciens chantent, les sardines sont savoureuse et la soirée pleine de simplicité, comme par le passé. Il sort d'une énième rupture avec la même femme, qu'elle connaît, il est déprimé et noie sa solitude dans le vin, comme par le passé. De retour chez elle, il monte pour un dernier café. Au moment de la quitter, il l'attire contre son torse et elle se laisse aller dans la chaleur de ses bras. Sa main caresse la peau dénudée au bas du dos, sa bouche cherche la sienne. Leurs solitudes désormais subies font le reste.

    Au petit matin, leurs regards débordent de tendresse. D'autres nuits se suivent, très vite, et des soirées collés l'un contre l'autre, à se câliner. Parfois l'ombre de l'autre femme voile le regard brun mais elle fait semblant de ne rien remarquer. Elle vit l'instant présent et le présent est bon dans ses bras.

    Il lui écrit de jolis mails où il dit que leur rencontre est capitale pour lui, qu'elle l'éveille, qu'elle lui manque, qu'il retrouve "un paradis perdu qu'il n'a jamais connu". Pourtant, il mentionne aussi l'autre femme, qu'il n'arrive pas à chasser de ses pensées. Elle savoure les jolis mots mais ne se laisse pas griser. Elle devine qu'il se raconte des histoires, qu'il essaie d'y croire; elle ne lui manque pas, tout au plus c'est une présence qui lui manque, celle de l'autre ?

    Un soir où elle est triste, elle lui écrit sa lassitude d'être celle qui console, reconstruit, répare. "Celle avec laquelle on aime passer un instant, une nuit, plusieurs, mais pas celle qu'on veut. Pas celle qu'on aime. Pas celle qui manque." Il ne relève pas. Qui ne dit mot consent.
    Un jour où sa boîte mail s'entête à rester vide, elle pressent qu'il est avec elle, qu'ils sont en train de faire l'amour. Elle appelle, sans succès. Le lendemain matin, elle envoie un mail et reçoit une réponse qui confirme son pressentiment de la veille. Faisant fi de son souhait d'anonymat, il a jeté leur relation à la tête de l'autre femme "pour la rendre jalouse, pour lui mettre tous ses défauts et ses erreurs sous le nez." Il lui demande de l'en excuser puis poursuit en lui donnant tous les détails de leur réconciliation passionnée.

    Elle ne l'a pas excusé. Elle déteste qu'un homme la fasse entrer en rivalité avec une autre femme. Pourtant elle souhaite qu'ils restent amis, mais plus jamais elle ne lui donnera l'occasion de l'utiliser.

    A force de se brûler les ailes, même un peu à chaque fois, il ne va plus lui en rester.

  • J., la bretonne qui n'aimait pas les pêcheurs

    C'est une femme de soixante-deux ans, très élégante dans son ensemble noir et blanc. Bien en chair, comme on dit, une jolie bouche fardée, un regard pétillant, un pendentif rosé autour du cou. J'ai beaucoup entendu parler d'elle mais la rencontre pour la première fois, ce soir.
    Elle a longtemps vécu en région parisienne et est revenue dans sa région d'origine il y a quelques années. Veuve depuis 9 ans, elle raconte qu'elle s'est inscrite dans une agence matrimoniale il y a quelques mois. Elle paie 1600 € par an pour qu'on la mette en relation avec des hommes. Le jour de son inscription, elle a passé la journée à pleurer parce qu'elle avait l'impression de tromper son mari.
    - Maintenant ça m'éclate, dit-elle. Moi qui me trouvais vieille et grosse, je plais. Ça fait du bien au moral.

    Bien sûr, nous, presque quadras célibataires, nous sommes très intéressées par ses anecdotes. Ça se passe comment pour quelqu'un de son âge ?
    Les yeux de J. pétillent derrière ses jolies lunettes colorées.
    - A chaque fois, j'ai droit au costume-cravate et au bouquet de fleurs fraîches, à part un.
    Il m'avait invitée chez lui. Quand je suis arrivée devant sa maison, y'avait une vraie décharge dans son jardin. Maintenant que t'es là, ma p'tite, faut y aller, que je me suis dit. Il avait une queue de cheval et un anneau dans l'oreille. Ça ne me plaisait pas. Je lui ai dit, il a répondu que l'anneau pouvait s'enlever mais la queue de cheval, non.
    L'intérieur de la maison était mieux que l'extérieur. Il demande ce que je veux boire mais ne sait pas faire le café. Je lui dis que s'il a ce qu'il faut, je vais me le faire.

    Après le café, il propose de me montrer les travaux qu'il a faits dans sa chambre. Voilà que je grimpe à l'étage et visite la salle de bains, les toilettes. A un moment, je me dis "Mais t'es vraiment une gamine ! Il a qu'à te bousculer et te culbuter sur le lit !

    J'ai tellement eu peur que je me suis précipitée pour redescendre et que je suis rentrée dans le placard au lieu d'ouvrir la porte de l'escalier.

    Finalement, on est restés copains. Il n'y a pas longtemps, il a trouvé une copine. Il paraît qu'elle a transformé la décharge en potager. Elle a bien du courage, c'est pas moi qui lui aurait fait un potager dans ce merdier !  


    Un autre, veuf et professeur de sexologie, me dit qu'il aime les fortes poitrines parce que ça lui rappelle sa femme. Ah ben il était bien tombé celui-là. ! Je m'étais planquée derrière ma veste, j'ai même pas osé enlever.


    Je devais aussi rencontrer un agriculteur mais j'ai refusé. Qu'est que j'en aurais fait ? On n'a jamais vu le cul d'une vache dans la famille !


    Y'en a un, "chef d'entreprise" sur sa fiche. Si ça se trouve, il avait 1 employé et demi.  Il me prévient : "J'ai fait un AVC il y a quelques années. Je suis paralysé d'un côté mais le reste marche très bien. Ça marche même toute la journée !"


    Ils m'en ont présenté un autre. Retraité hospitalier, disait sa fiche. Finalement, il était cuistot à Henri Mondor. Je sais pas ce qu'il sont , ils m'envoient que des cuistots alors que je déteste la cuisine !


    Samedi, j'ai rendez-vous avec un ancien pompier de Paris. On s'est appelés, il bégaie. Ça va pas aller, je vais finir les phrases à sa place. Mais je ne peux pas le dire au type de l'agence, il bégaie aussi !

    Ah, de toute façon, moi je ne veux pas y aller pour la bagatelle. Ça fait 9 ans que j'ai rien fait !
    "C'est quoi la bagatelle ? demande le seul homme de la tablée. "Ben, un plan cul !" ne puis-je m'empêcher de répondre.  Nus éclatons toutes les quatre de rire. Lui plonge le nez dans un magazine, presque gêné.

    Il est étrange de constater à quel point cette génération assume mal sa solitude. Ils préfèrent payer un intermédiaire pour trouver chaussure à leur pied, visiblement mal à l'aise dans cette démarche. Nous à notre âge, on estime qu'on n'a pas besoin de payer pour trouver un mec. Boug' raconte qu'elle connaît un homme de l'âge de J. qui cherche l'amour sur internet et collectionne les aventures. Entre l'agence matrimoniale qui coûte la peau du cul et les catalogues éphémères sur internet, quelle est la meilleure solution, s'il y en a une ?

    Quoi qu'il en soit, et même si elle a peu d'espoir de trouver un homme qui satisfasse ses nombreuses exigences, elle s''est fait plein de copains, son téléphone sonne toute la journée, elle n'achète plus de fleurs, a repris confiance en elle et a plein de choses à raconter. La preuve, pour notre plus grand plaisir.

  • Chez Walczak

    Walczak.jpgQuand je remontai la rue Brancion en direction de la station de tramway, la porte de Chez Walczak était close. Pour ce soir, je garderais mes questions pour moi.

    C'est un autre moustachu qui lèverait le mystère, le lendemain :
    - Pap's, j'ai découvert un endroit, je ne savais pas du tout que c'était là ! Juste à quelques mètres de ton ancien boulot. La Ruche, tu connais ? "
    Sa réponse me sidéra.
    "Bien sûr que je connais, j'y avais un copain sculpteur et un autre, peintre. Et toi aussi, tu connais, je t'y ai emmenée quand tu avais 16 ans, mon copain nous avait tout fait visiter".
    "C'est pas vrai ?? Merde ! J'en ai aucun souvenir !"
    "Ben oui, mais t'en avais rien à foutre, à cet âge-là ...Et maintenant, je n'y ai plus de contact."

    Quelle déveine ! Dire qu'aujourd'hui, je rêverais qu'on m'ouvre les portes de ce mystérieux endroit ...
    Je lui racontai la suite de mon exploration. C'est fou comme on en sait peu, finalement, sur les gens qu'on aime.

    Non seulement mon père connaissait le bistrot de Walczak mais ils étaient copains ! Il me raconta leur amitié :
    - Walczak était un ancien boxeur, il avait combattu contre Cerdan et Sugar Ray Robinson. C'était un Polonais qui avait commencé dans le Pas de Calais. Son bistrot était fréquenté par Brassens, Brel et bien sûr, Marcel Cerdan et Edith Piaf.
    Mon père décrivit le bistrot où pas un centimètre de mur, couvert de photos, affiches et articles sur les boxeurs, n'était libre.
    - Quand j'y allais, il sortait tous les artices qu'il avait gardés sur ses combats, des coupures de Paris-Match et autres. Un soir, il me les montrait pour la énième fois "Là c'est Cerdan, là c'est untel et là, c'est mon copain Mamadou."
    Mon père leva un  sourcil.
    "Mamadou ?"
    " Ben oui, mon copain Mamadou, c'était un prof de boxe."
    " Oui, c'était même MON prof de boxe à Roubaix", répondit mon père.
    "Si tu retournes dans le Nord, salue le de ma part".

    Mon père avait appelé son frère, resté dans la région. Mamadou était mort depuis plusieurs années déjà. Un jour que Walczak lui demandait s'il avait eu des nouvelles de Mamadou, mon père n'avait pas eu le coeur de lui dire que son ami était mort. "Oui, il va bien", avait-il répondu.

    Un soir, le vieux Walczak était mort, lui aussi. Le bistrot avait fermé pendant quelques années et puis ses enfants l'avaient rouvert, en l'état. Ils n'avaient pas touché aux souvenirs de leur père.
    J'ai cherché des informations sur le champion Walczak et j'en ai trouvé beaucoup. J'ai également trouvé mention d'un Mamadou mais je ne suis pas sûre qu'il s'agisse du prof sénégalais de mon père.
    Aujourd'hui, le bistrot de Walczak, qui à ma connaissance est tenu par sa petite-fille, n'est pas ouvert aux passants. Il faut montrer patte blanche, à défaut de gant de boxe, pour franchir ce sanctuaire chargé de sueur et d'amitié.  

    cvwalk.jpg

    J'étais heureuse d'apprendre toutes ces choses sur mon père. S'il vivait encore à Paris, on irait boire des bières dans d'authentiques bistrots et j'écouterai les souvenirs et les anecdotes du quartier, comme Nicolas le fait si bien.

    Des articles sur Walczak : , et encore là.

    Prochaine mission : y entrer. Le feuilleton continue !

  • Le 15ème arrondissement de ma jeunesse

    Je commence mon parcours à la station de tramway Brancion, lequel n'existait pas lorsque je vivais là. Après un coup d'oeil au commerce qui a remplacé l'étroite échoppe de Joseph le cordonnier, un vieillard au regard voilé, qui tatait mes chaussures d'un main tremblante et pourtant sûre, je descends la rue Brancion, où les commerces se sont implantés, et m'égare déjà dans la rue Chauvelot.

    La rue Chauvelot n'a gardé que quelques traces de son passé, comme ces treuils sur la façade d'une ancienne boucherie, mais elle cache de jolies surprises, pour peu qu'on s'y aventure.

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    Rue Camulogène - général gaulois, chef des Parisii et défenseur de Lutèce- , déjà, la verdure borde les abords de l'ancienne petite ceinture et tout de suite à droite, l'impasse du Labrador cache, parmi beaucoup d'autres,  une petite maison envahie par la végétation, dans laquelle je suis déjà venue. Un blogueur un peu culotté a pu pénétrer dans ces jardins cachés.

    Habite-t-il toujours là, ce personnage, acteur intermittent, buveur impénitent et noceur accueillant bien volontiers les musiciens dans sa maison ? La végétation envahit la courette et pas un bruit ne s'en échappe. Je le salue silencieusement, de la part de son vieux copain.

    La boucherie où ma mère allait faire ses courses a disparu. Je jette un oeil à la voie ferrée désaffectée. L'abandon de la Petite Ceinture a toujours soulevé incompréhension et agacement en moi. Après la polémique sur sa réhabilitation pour accueillir le tramway, finalement abandonnée et imposé une dizaine de mètres plus haut, je m'étonne que personne ne songe à y aménager une promenade, comme celle qui ravit les promeneurs du 12ème, le dimanche.

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    Balayant mes questions (je ne suis pas là pour m'énerver, hien ?), je continue ma descente. La petite boutique de tourtes gersoises met la clé sous la porte et brade ses produits et son matériel. Il y a bien longtemps que la Petite Alsace et Le Nil ont fermé boutique, eux aussi, et les restaurants dans le quartier changent de nom comme de saison. Il en est un qui résiste à la bobohisation du quartier, c'est le Café du Marché, aux murs couverts d'affiches de boxeurs et plus loin, la devanture jaune comme un soleil du rade "Aux Sportifs Réunis - chez Walczak " qui arbore en devanture un portrait de Brassens sur sa guitare et un autre de boxeur. Note à moi-même : il faudra que j'éclaircisse le mystère de ce culte voué à la boxe, dans le coin.

    A l'angle de la rue Brancion et de celle des Morillons, le Cent Kilos, jadis plutôt sordide, a fait peau neuve et s'est trouvé un nouveau voisin, les Tontons, qui sévit aussi dans la rue de Dantzig et à détrôné l'ancien bucolique "Le Triporteur". Mais je réserve ce coin à la suite de ma visite.

    Pour l'heure, j'emboîte le pas au célèbre moustachu, poète sétois amoureux des chats, qui vint s'installer à la mort de sa Jeanne et jusqu'à la sienne propre, rue Santos-Dumont. Par le passé, je suis venue m'égarer ici, cherchant une plaque, un signe. Rien. J'en étais repartie penaude. Cette fois, je me suis documentée avant de partir de chez moi et je découvre le n°42, au milieu d'un ensemble assez ravissant de maisons meulières qui s'étirent des numéros 36 à 52.
    Cependant, il ne faudrait pas rebrousser chemin maintenant. Car à gauche, une ruelle pavée qui ne mène nulle part sinon au calme est à découvrir;  c'est la villa Santos-Dumont, où une petite fille joue.

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    Après cette échappée bucolique, je rejoins l'angle des rues Brancion et des Morillons où un fier équidé rappelle qu'ici, avant le parc qui porte le nom du poète venu de Sète, se dressaient les abattoirs de Vaugirard. D'ailleurs, le marché aux livres anciens qui se tient chaque dimanche abritait autrefois un marché aux chevaux.
    A l'entrée du parc, deux superbes taureaux, déplacés du Trocadéro jusqu'ici, rappellent aussi ce passé.

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    Dans la rue de Cronstadt, le Veau D'or a laissé la place à un restaurant plus moderne mais heureusement, le Bélier D'argent, lui, est toujours là et je salive devant sa carte. Il y a des années que je n'y suis venue et l'assiette de desserts géants comme dans mon enfance me laisse rêveuse (on ne se refait pas, hein !)


    A l'angle des rues Morillons-Dantzig, j'hésite : droite ou gauche ? Je décide de remonter la rue. Se pourrait-il que l'endroit que je cherche se trouvât dans cette ruelle juste derrière Le Dantzig, où mon père m'avait amenée, toute jeune fille, faire réparer ma voiture qu'un bus de la RATP avait prise pour une toupie ?
    Hé bien oui. Incroyable ! C'est bien là, passage Dantzig, que se trouve La Ruche, ateliers d'artistes créé par Boucher.

    Cet endroit, ainsi nommé parce qu'il contient une soixantaine d'alvéoles où la création bourdonne, hébergea, au temps où Montparnasse concurrençait Montmartre, des artistes aussi illustres que Marc Chagall, Jacques Chapiro, Fernand Léger, le douanier Rousseau, Ossip Zadkine, Chaim Soutine. On y vit aussi Matisse, Modigliani, Blaise Cendrars et Brancusi, que je suis depuis sa Roumanie natale. La Ruche, sauvée in extremis de la destruction, abrite toujours des artistes mais elle n'est plus ouverte au public; on peut la visiter en prenant rendez-vous ou lors de journées exceptionnelles.

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    Je retourne sur mes pas et m'octroie une pause au soleil - il est rare, profitons-en - dans le parc que je n'ai fait que contourner jusqu'alors.

    Rêvant à ces années déjà lointaines où j'amenais, traînant les pieds, ma petite soeur y jouer, je prends un cliché de cet autre témoin du passé viandard du parc : le beffroi qui abritait la vente à la criée.

    Sur un banc, face à lui et à un jet d'eau las et discontinu, je rédige ce billet avant d'aller m'offrir un petit verre chez Walczak et, espérons-le, glaner quelques confidences sur les boxeurs. J'ai répéré, tout à l'heure, sur son pas de porte, une moustache qui doit avoir l'âge de Brassens. Gageons qu'elle chuchotera quelques souvenirs. 

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    Peu de gens connaissent ce coin du 15ème, populaire et longtemps laissé à l'abandon. J'espère que la balade dans ce quartier qui est cher à mon coeur vous a plu.

    Les mots du jour : beffroi, campanile et clocher. Pourquoi l'un ou l'autre, tout est expliqué ici.

  • Autour du parc de Montsouris

    Mon parcours commence donc sur le flanc ouest du parc de Montsouris, ainsi nommé à cause des multiples rongeurs qui fréquentaient jadis la vallée de la Bièvre.

    J'emprunte la rue Émile Deutsch de la Meurthe, à l'angle de laquelle se dresse une imposante maison de style Art Nouveau. Cette rue honore le fondateur de la Cité Internationale Universitaire   qui s'étend de l'autre côté du boulevard.

    [Anecdote : j'ai à peine parcouru quelques mètres, le nez en l'air, que j'entends crier mon prénom. Incrédule, je me retourne vaguement, un jeune homme caché derrière des lunettes de soleil et un bouc me fait un signe timide de la main : c'est Arnaud, rencontré quelques heures plus tôt au Café du Marché à Montrouge.]

    Le long du parc de Montsouris, les maisons de style Art Déco ou Art Nouveau qui bordent les impasses et ruelles pavées ont hébergé des artistes comme Georges Braque, Amédée Ozenfant, l'écrivain américain E.E. Cummings, le peintre chinois Oui, ou encore Foujita qui vécut également rue d'Odessa et rue Delambre.

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    Les escaliers situés à l'extrémité du square Montsouris me déposent avenue Reille, devant les Réservoirs de Paris. Il s'agit d'une immense butte gazonnée qui renferme 200 millions de litres des eaux des rivières de la Vanne et du Loing, distantes de 150 kilomètres, et alimente presque toute la rive gauche de Paris.

    Après avoir salué la médaille d'or 2011 de la meilleure andouille, je me plonge dans mon guide qui indique "A un général et un maréchal, tu préfèreras un saint".

    Rue Saint-Yves, la Cité du Souvenir rend hommage aux morts de la grande guerre et abrite même une petite chapelle.

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    Plus loin, à l'angle des rues du Père Corentin et Marie Rose, un important édifice de briques rouges se dresse. Avant de m'y intéresser, je repère, au n°4, l'immeuble dans lequel Lénine vécut 3 ans.
    Le bâtiment de briques rouges m'intrigue; il s'agit d'un couvent de franciscains. J'en pousse la porte, elle cède, je me faufile comme une voleuse. Le rez de chaussée est désert, les accès fermés. Pourtant, à travers les fenêtres, je devine un bucolique jardin. Inutile de demander un renseignement au gros chat noir qui paresse sur un banc.
    La porte donnant sur la rue s'ouvre à nouveau, un jeune homme entre. Vaguement coupable, je prends les devants "Excusez-moi, ce n'est pas ouvert au public ici ?" "Si, la chapelle est ouverte, venez, je vous montre".  En haut d'un important escalier, je pénètre dans une impressionnante chapelle. Pendant que le jeune homme s'abandonne à la génuflexion, je parcoure quelques niches puis repart vite. Depuis, j'ai appris que le père Corentin y avait été assassiné en 1944.

    Délaissant mon guide qui file vers Montparnasse, je suis la rue du Loing qui me ramène vers celle d'Alésia. A l'angle de la rue de Bigorre, une boulangerie-épicerie affiche son amour du pays basque. Au numéro 20 bis, ma nuque assouplie découvre deux beaux reliefs sculptés par l'avignonnais Jean-Pierre Gras. Mes recherches indiquent des atlantes, or il s'agit d'un couple, totalement nu, de surcroît. Je n'ai aucune connaissance en architecture, appellerait-on simplement ces sculptures un atlante et une cariatide ?

    Couvent.jpg


    Plus loin, sur le trottoir, un homme est allongé par terre, dans l'indifférence générale. Je prends la rue de la Tombe Issoire et après quelques hésitations, ignorant que, plus loin, la villa Seurat vaut le détour - Henri Miller y écrivit ses Tropiques -, je bifurque à gauche dans la rue de l'Aude. La rue des Artistes ne tient pas ses promesses et je descends son escalier pour rejoindre l'avenue René Coty.

    Je tourne autour depuis le début de ma balade, il fallait bien que j'y entre dans ce fameux parc de Montsouris, auquel je préfère pourtant celui de la Cité Universitaire. Les joggeurs en short y sont nombreux. Il abrite pourtant quelques curiosités. D'entre les arbres émerge une étrange aiguille; c'est là que les prévisions météorologiques de Paris et sa petite couronne sont faites. La ligne B du RER traverse également le parc. Et de retour sur le boulevard, la verrière et les sols de mosaique du restaurant Le Pavillon Montsouris ont accueilli Lénine, Trotsky, Sartre et Jouvet.

    PS : Notez qu'ils n'ont pas osé afficher la météo de juillet et août ...

    Parc montsouris.jpg

    Ma balade dans cette partie du 14ème arrondissement, jusqu'alors inconnue, est terminée. J'en aurai encore appris, des choses !    

    Le mot du jour :
    atlante : figure d'homme debout ou agenouillé, employé dans certains temples grecs et soutenant un entablement. Dans les temples romains, ces éléments portent plutôt le nom de télamons (source Wikipédia) => son équivalent féminin : la cariatide