Bonne nouvelle pour ceux qui auraient raté l'exposition "Le quotidien des parisiens sous l'occupation" : elle reprend bientôt à Saint-Denis.
Début janvier, après ma leçon d'espagnol et un petit déjeuner tardif avec un facteur au BIA de la rue des Ecoles, je suis entrée dans le couvent des Cordeliers, rue de l'Ecole de Médecine, où l'exposition était sur le point de s'achever.
Je suppose qu'au delà de mon intérêt général pour l'histoire de Paris, ce sont les années passées à proximité de la porte d'Orléans, par laquelle les troups de la libération entrèrent dans Paris, qui explique ma curiosité plus particulière pour cette période de l'histoire.
Le 14ème arrondissement, je l'ai souvent écrit, est un des quartiers de Paris que je chéris. J'emprunte souvent l'avenue du général Leclerc, qui s'étire de la porte d'Orléans à la place Denfert-Rochereau au centre de laquelle trône le lion de Belfort. La porte d'Orléans est une de ces passerelles parisiennes vers la banlieue, un noeud bruyant et perpétuellement en travaux, où se croisent métro, tramway, bus, voitures et 2-roues, dans un vacarme assez insupportable. Pourtant, souvent, levant les yeux sur le nom ornant la plaque d'une rue ou d'une statue illustre, je songe avec une pointe d'émotion que c'est par cet axe historique que les troupes de la Libération sont entrées dans Paris, en juin 44.
Les nombreuses heures passées à arpenter les rues du 14ème arrondissement ont éveillé ma curiosité. J'ai voulu connaître l'histoire de ces noms inconnus, j'ai parfois imaginé l'exaltation des parisiens d'alors, les larmes de joie, les cris, les fleurs, les parisiennes coquettes et pimpantes, pour tenter d'oublier la morosité hargneuse des habitants de ma jungle urbaine.
Outre le fait que la chaleur était suffocante ce jour-là dans le couvent des Cordeliers, j'ai trouvé la mise en scène particulièrement réussie. Il est étrange de découvrir un Paris bardé des signes de l'occupation allemande, les monuments nationaux réquisitionnés, les panneaux indicateurs doublés d'une traduction allemande. Pas cons, ils s'étaient réservés les beaux quartiers, délaissant la couronne est et sud de Paris, et avaient investi les hôtels Meurice, Ritz et le Lutétia où j'ai travaillé pendant quelques mois. Tout cela paraît si abstrait à nos générations.Pourtant, Paris résonna du bruit des bottes allemandes pendant 4 longues années.
(pour voir l'image ci-dessous en plus grand, cliquez dessus)
Sur les nombreux clichés de Daniel Leduc, un gendarme parisien un peu rebelle, j'ai parfois eu du mal à reconnaître "mon" Paris. Pourtant, ses commentaires ironiques m'ont fait sourire : "Les Fritz se font photographier sous la tour Eiffel; c'est moins dangereux que sur la 3ème plateforme". Je suis restée perplexe face à d'autres photos de parisiennes, tout sourire dehors, posant au bras d'officiers teutons. J'y ai d'ailleurs appris que, comme beaucoup d'autres, Arletty avait été très amoureuse de l'un d'entre eux et que sa carrière en fut en partie brisée à la Libération. Aux attaques, elle aurait répondu : "Mon coeur est français mais mon cul est international !"
Aux photos officielles et propagandistes, donnant l'image de parisiens débonnaires, s'oposent le noir et blanc de M. Leduc et d'autres, où on les voit affamés, faisant la queue à la soupe populaire, et puis quelques sursauts de révolte : une manifestation de ménagères rue Daguerre, des slogans dénonciateurs "Tracas, famine, patrouille". Pour nourrir une population soumise au rationnement, on plantait alors le poireau dans les jardins du Louvre.
Ah j'aurais été bien malheureuse, à l'époque : 120g de viande avec os, annonce une affiche de rationnement ! Et Nicolas aurait (dé)rouillé :
D'autres clichés rappellent la collaboration de la France : extraits vidéos de meetings où on lève le bras avec enthousiasme, exposition puantes (le juif et la France). Des affiches invitent les familles de travailleurs français envoyés en Allemagne à des galas afin de "participer à leur joie et profiter eux aussi des organisations de la nouvelle Allemagne socialiste". Plus récemment, un excellent documentaire sur le même thème, à la télé, m'a permis d'en apprendre plus sur la collaboration d'artistes français célèbres.
Il ne me reste plus qu'à vous inviter à courir à l'université de Saint-Denis entre le 24 janvier et le le 24 février (du lundi au vendredi et jusqu'à 18h seulement). Quand à moi, je ne tarderai pas à visiter le musée Jean Moulin, au-dessus de la gare Montparnasse.