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2yeux2oreilles - Page 97

  • Je hais les insectes

    Photo050.jpgA peine 18 heures, je gare mon Opel Insignia sur le parking d'un manoir normand. Le jeune homme de l'agence de loc m'a demandé "Vous voulez quelle voiture madame ?"

    J'ai essayé, au cas où : "Porsche, vous avez?"

    "J'ai une Opel Insignia toute neuve". Toute neuve, en effet, 1 km au compteur. La boîte de vitesses est un peu raide mais je me régale sur la route, si peu fréquentée que j'arrive même à rouler avec le régulateur de vitesse.

    Le soir venu, je me détends en travaillant sur la terrasse du manoir réchauffée par quelques rayons de soleil.

    Peu après 20 heures, je descends dans la salle à manger où se trouve déjà un groupe de trois garçons et une fille.

    Je m'installe et commande un verre de Fronton, qu'on me sert alors que résonne les premières notes de l'été indien de Joe Dassin. Le jeune homme des années 80 se foutrait de ma gueule parce que j'aime beaucoup ce slow.

    J'en connais un autre qui avait même commandé un CD de Joe Dassin à Noel, et il me manque ce soir, lui et la petite fille dont la bouille ronde et hilare s'affiche sur mon téléphone. Je lui envoie un sms où je parle de Joe Dassin, pour le faire rire et parce qu'il en a bien besoin, en ce moment.

    J'essaie de me concentrer sur les dernières pages de "L'amour dure trois ans" mais ce n'est pas facile, entre Joe Dassin, mes voisins de table partis dans un fou-rire dont je devine aisément la raison et une connassse de mouche à merde qui fait chtoc chtoc en essayant de traverser la vitre.

    Le garçon, qui devrait prendre ses chemises une taille au-dessus, dépose devant moi une croustade aux champignons au moment où Joe entonne "Tagada tagada voilà les Dalton".

    J'essaie d'envoyer disrètement la mouche à merde dans une des toiles d'araignée qui pend derrière les rideaux. Ah ça sent la nature, y'a pas de doute. J'espère qu'il n'y a pas de morpions dans mon lit. Déjà que je me suis fait bouffer les cuisses par une colonie de fourmis rouges lundi dernier, en bouquinant au soleil ...

    J'ai trouvé une bonne excuse pour boire du pinard : l'eau de la carafe est infecte. Quand je l'ai versée dans le verre, y'a pleins de dépôts calcaires qui ont flotté un bon moment avant de tomber au fond et lorsque je me suis résolue à la boire (ben oui, j'ai soif!), elle puait tellement que je n'ai pas pu.

    Ca y est, mes vosins de table craquent ou plutôt leurs zygomatiques menacent de lâcher. Ils demandent à la serveuse aux dents de lapin de changer de disque. Elle tourne le dos et coupe brutalement le sifflet à Joe sur sa colline. Je prends un ton offusqué et m'exclame "Ah ben non, j'adore Joe Dassin !" Mes voisins de table se retournent. "Non, non, je rigole ...."

    Je ne sais pas si on a gagné au change. Perso, je trouvais Joe plus marrant que la musique de troubadour qu'on nous sert à présent.

    J'appelle ma soeur, reçoit des sms (en mode silencieux, toujours) de mon chef de projet "Je crois que j'ai un nouveau resto à te faire essayer. Italien. A deux pas de l'hôtel." (j'ai trouvé mon maître), ma tante et ma copine Chacha. Je leur réponds et en envoie un à mon pote Hervé. En parlant d'insectes et d'Hervé, faudra que je vous raconte, après avoir vérifié dans mes archives que je ne l'ai pas déjà fait, la nuit que j'ai passée, il y a quelques années, dans un lit datant de je ne sais quel siècle et acheté dans une foire aux enchères.

    A la page 188, je souris; j'ai une bonne nouvelle pour Chriss. Beigbeder écrit "J'espère que le titre mensonger de ce livre ne vous aura pas trop exaspéré: bien sûr que l'amour ne dure pas trois ans; je suis heureux de m'être trompé. Ce n'est pas parce que ce livre est publié chez Grasset qu'il dit nécessairement la vérité".

    (En même temps, Chriss, je ne veux pas jouer les rabat-joie, mais quelques pages plus tôt, il se tape un plan à trois avec une espagnole en attendant que sa femme vienne le rejoindre. Et encore je te la fais soft. Vas savoir ce qu'il me réserve dans les dernières pages. Je te tiens au courant, mais pas ce soir)

    Nouveau sms pour Hervé. En substance et parce que certains croient que je suis une dame, j'écris "Y'a une connasse de mouche à merde qui essaie de siffler mon pinard en douce. Salope !"

    J'aurais dû fermer ma gueule. Lorsque, pour fêter l'arrivée de mon aumônière aux pommes et sa glace au caramel au beurre salé, je décide de me jeter un gorgeon de Fronton, je découvre avec horreur un énorme truc noir qui barbote dedans. Et là, je ne rigole plus.

    La première question qui me vient en tête "Est-ce que ça pisse, une mouche à merde ?" Parce que je suis sûre que cette conne s'est vengée de mes envies de meurtre en pissant dans mon verre de rouge. Et puis je m'en fous, après tout je suis la fille qui bouffe les crevettes (les grosses roses) avec la tête et même des chenilles zairoises, même que si vous voulez la photo, ben la voilà (je vous la fais en format moyen pour vous éviter de dégueuler sur votre clavier, mais si vous tenez absolument à vomir, vous pouvez agrandir l'image en cliquant dessus .... z'avez vu, c'e'st joli, y'a du orange dans le marron...)

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    alors c'est pas une pauvre mouche à merde normande qui va me faire peur. Je plonge la queue de ma cuillère dans le verre et éjecte la mouche. Et hop! cul sec !

    PS : Là, il est 23h30 et c'est soirée disco en dessous, visiblement ... On se fout pas un peu de notre gueule, ici ?

     

  • Extra(its)

    "On ne peut pas désirer ce qu'on a déjà; c'est contre-nature"

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    "Liaison extra-conjugale : c'est ainsi qu'on nomme les plus belles passions romantiques, de nos jours."

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    "Longtemps, mon seul but dans la vie était de m'autodétruire. Puis, une fois, j'ai eu envie d'être heureux. (...) Ce que j'ai appris depuis, c'est que c'était la meilleure manière de me détruire. Au fond, sans le faire exprès, je suis un garçon cohérent."

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    "Entendre que l'amour dure trois ans n'est pas agréable; c'est comme un tour de magie raté, ou comme quand le réveil sonne au milieu d'un rêve érotique. (...) Après trois ans, un couple doit se quitter, se suicider, ou faire des enfants, ce qui sont trois façons d'entériner sa fin."

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    Tout le problème de l'amour, me semble-t-il, est là : pour être heureux, on a besoin de sécurité alors que pour être amoureux on a besoin d'insécurité. Le bonheur repose sur la confiance alors que l'amour exige du doute et de l'inquiétude.

    Bref, en gros, le mariage a été conçu pour rendre heureux mais pas pour rester amoureux. Et tomber amoureux n'est pas la meilleure manière de trouver le bonheur; si tel était le cas, depuis le temps, cela se saurait.

    Je ne sais pas si je suis très clair mais je me comprends : ce que je veux dire, c'est que le mariage mélange des trucs qui ne vont pas bien ensemble."

    ("L'amour dure trois ans", de Frédéric Beigbeder)

  • Elle est très chouette !

    Photo062.jpgJ'ai rendez-vous avec elle place Sainte-Opportune. A l'heure convenue, elle m'appelle et annonce être à l'angle du boulevard de Sébastopol et la rue de Rivoli. Je la retrouve, particulièrement belle sous les cheveux blonds qui caressent ses épaules et lumineuse dans son trench rouge vif. La dernière fois que je l'ai vue, elle portait, comme nous, une perruque rousse.

    Elle est sans aucun doute la personne de ma famille dont je suis la plus proche, en dehors de ma tribu directe. C'est une marrante, ma tante. Quand j'étais enfant, aux fêtes de famille, elle chantait "La bonne du curé" comme personne. Plus tard, ado, j'empruntais ses nombreux produits de beauté et chez ma grand-mère, j'écoutais les 45 tours de sa jeunesse et chantais à tue-tête "Les rois mages" de Sheila. Chez elle, pas de chichis, je me sens à l'aise, comme chez moi, et sa porte m'a toujours été ouverte, seule ou accompagnée. Ce vendredi soir, c'est la mienne qu'elle franchit, pour la première fois.

    Après avoir posé sa valise, je lui demande de quoi elle a envie "j'aimerais bien aller voir les bouquinistes". Je l'ai toujours connue et voilà que je découvre qu'elle aime l'odeur des vieux livres. Je l'emmène dîner chez Félicie et nous savourons de concert un goûteux carpaccio de boeuf aux légumes grillés.

    Au métro Cité, je la prends en photo sous les porches sculptés de Notre-Dame et nous traversons la Seine au-dessus de laquelle des couples d'amoureux s'enlacent.

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    Les quais sont bondés, des groupes de gens improvisent un apéro et sur les bateaux-mouches, les touristes agitent la main.

    Plus loin, sur le Pont Neuf, la statue équestre d'Henri IV est emprisonnée dans une construction lumineuse de Castelbajac et sur la passerelle du pont des Arts, on a déplié les couvertures pour un pique-nique nocturne. Je n'ai jamais compris l'engouement dont bénéficie ce pont auquel je trouve peu de charme.

    C'est agréable de redécouvrir Paris avec des touristes, mais c'est parfois embarrassant. Ainsi, j'hésite à plusieurs reprises lorsqu'elle désigne un bâtiment, un monument, et demande "Et ça, c'est quoi ?"

    Devant l'Institut de France, par exemple, je ne peux rien ajouter aux caractères gravés sur la façade. Je me suis renseignée, depuis : "Quatre Académies - française, des sciences, des beaux-arts et des sciences morales et politiques - reçoivent leurs nouveaux élus sous la Coupole."

    Nous bifurquons à gauche dans l'étroite rue Bonaparte et après un bref arrêt devant la boutique Ladurée, pour le plaisir des yeux, elle prend la pose devant Les Deux Magots. Plutôt que d'emprunter la rue de Rennes, déserte, je l'entraîne jusqu'à la place Saint-Sulpice. Hélas, l'église est défigurée par des travaux. Devant l'Institu Hongrois, une jeune femme est assise, le menton dans les mains.

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    Remontant le boulevard Raspail, les pieds douloureux, nous approchons de mes lieux de villégiature préférés, qu'elle ne connaît que par mon blog. Je pointe du doigt la devanture verte du Shannon, puis les fenêtres du Rosebud, grandes ouvertes sur la rue en cette douce soirée. Nous nous installons sur la place Joséphine Baker, en terrasse du Paradis du Fruit où l'on me sert une énorme coupe glacée piquée de tranches de coco fraîche et arrosée de chocolat chaud.

    Le lendemain, nous sortons, hilares, d'un minuscule théâtre du 20ème arrondissement. Après nous avoir fait piquer du nez, une comédienne maigrichonne déroule ses os sur un flamenco prétendument sensuel, puis martèle à plusieurs reprises "Qui m'aime me prend". Elle s'accroupit ensuite derrière une chaise, bouge sa jambe d'avant en arrière et nos oreilles incrédules l"écoute gémir pendant de longues minutes jusqu'à l'orgasme final. C'est d'un tel ridicule - et mauvais goût - que nous rions aux éclats en descendant la rue de Charonne jusqu'à la Bastille.

  • Bouton de rose à la crème sur nectar brûlant

    Photo002.jpg« Ton japonais de la mort qui tue et que je dois absolument goûter, ça te dit qu’on se le fasse demain soir ? Je te prends casque + gants ? »

    C’est le sms que j’ai reçu de mon chef de projet, celui qui, à l’occasion de l’échange de cadeaux de Noël, m’avait tendu « Le petit livre à offrir à quelqu’un qu’on aime bien pour lui dire qu’on l’aime bien ».  Moi j’avais offert la BD « Zizi sexuel » au collègue que j’avais tiré au sort (son nom, pas le collègue).

    Après mon habituelle phase d’observation puis ma phase de dégivrage progressif qui avait duré … plusieurs mois, j’ai été amenée à travailler avec lui sur un gros projet et à passer quelques soirées en sa compagnie, dans une ville réputée pour sa grand-place et ses chocolats. Après avoir apprécié son professionnalisme, j’ai découvert son humour et sa gourmandise. Depuis, nous nous échangeons adresses de restos et recettes de cuisine et il n’est pas rare que je reçoive un mms me collant sous le nez le dessert qu’il est en train de déguster.

    Ce soir donc, j'ai enfourché sa Triumph Tiger et après un petit tour sur la place de l’Etoile et la descente des Champs-Elysées, nous avons laissé celle-ci sur un trottoir de la rue Delambre, à proximité de Montparnasse. Au Shannon, festif et bruyant, j’ai préféré le Rosebud, un bar mythique devant lequel je suis passée maintes fois mais dont je n'avais jamais franchi les portes, jusqu'à ce soir.

    Il est des endroits dont on se demande pourquoi on n’y est pas venu plus tôt tant on s’y sent bien dès les premiers instants. Le Rosebud était quasi-désert en ce début de soirée. Sombre, feutré, les haut-parleurs y distillaient de la musique jazz, parfaite pour nous faire oublier les premières gouttes de pluie. Chaleureusement accueillis par les deux barmen, en complet et chemise blanche, nous nous sommes naturellement dirigés vers le comptoir en L et sur les conseils du plus jeune, j’ai dégusté un cocktail au champagne, orange amère et angustura des plus rafraîchissants. Lui, accoudé au comptoir, profitait de l’accalmie pour discuter avec nous, du quartier, de Pigalle, des difficultés de circulation dans Paris.

    Après Toritcho, dont il ressort repu et enchanté (hé hé ..), mon collègue propose un dernier verre au Rosebud. « Rebonsoir » lance le plus âgé des deux barmen en nous voyant franchir le seuil. Les tables du dîner sont occupées, tant mieux, nous nous hissons sur les tabourets du comptoir. « Que prendrez-vous ? » demande le monsieur. « Que me conseillez-vous après un bon repas ? » « Il énumère plusieurs cocktails et termine par « et puis l’Irish coffee, un classique ». J’avais justement envie d’un Irish coffee. Je n’en ai pas bu depuis des années, depuis même l’Irlande je crois. J’aimais m’enfoncer, à la nuit tombée, dans un des fauteuils de cuir du Morrison hotel, sur les bords de la Liffey, plonger mes lèvres dans la crème onctueuse et me brûler la langue, immanquablement, sur le café brûlant.

    « Les Irlandais ne savent pas et en plus, ils n’aiment pas préparer l’Irish coffee » assure le barman, mi-figue, mi-raisin. Quelques instants plus tard, le fameux verre au trèfle est posé devant nous. Sous la crème beige, le breuvage est délicieux, et je me brûle la langue, comme d'habitude, en dressant l’oreille. Un Irish coffee, un soir de pluie, et Nina Simone qui berce ma nuit, je suis comblée. J’en viendrais à regretter de n’être pas seule pour me laisser gagner par une douce mélancolie.  Le Rosebud est un endroit hors du temps où je pourrais oublier les heures, le nez dans un bouquin. Les clients d’âge mûr sont visiblement des habitués, le barman les appelle par leur prénom et les taquine « Et bien, tu avais faim ce soir, à l’allure où tu as vidé la gamelle ! ».

    Et moi, pommettes rosies et cheveux frisottées par la pluie, je conte cette journée où Nina est apparue devant moi en me réjouissant de devenir moi aussi, après Sartre et tant d’autres, une habituée du Rosebud.

  • D'un autre temps

    Un matin, sous la lumière blafarde du métro parisien. Assise au chaud dans ma bulle musicale, les paupières alourdies de la mienne, trop courte,  je rêve, les yeux perdus dans la nuit du tunnel.

    Mon regard s'écarte de la fenêtre et balaie le wagon bondé, s'arrêtant sur le profil d'un homme debout, appuyé contre la porte, la main négligemment posée sur la barre métallique. Hypnotisée, je profite du fait qu'il ne me regarde pas pour le détailler à loisir.

    Grand et mince, je lui donne une vingtaine d'années. Son visage est mangé de moitié par une casquette de laine posée sur des boucles soyeuses qui lui caressent la nuque. Le velours imberbe de ses joues et ses lèvres roses et pleines, fermées sur une moue frondeuse comme celle que se donnent les jeunes garçons pressés de devenir des hommes, trahissent sa jeunesse. Il est magnifique.

    Je passerai les vingt minutes de mon trajet à dévorer du regard ce jeune homme aux allures de titi parisien. Les hommes à chapeaux, qu'ils soient vieux ou jeunes, m'ont toujours fait de l'effet. Ah comme j'aurais aimé être femme des années 50 et me laisser enlacer, sous les lilas, par un homme coiffé d'un feutre et parfumé à l'eau de Cologne, qui aurait promené sa main gantée sur moi !

    Le signal sonore me tire brutalement de ma rêverie. Femme des années 2000, je saisis ma sacoche d'ordinateur, relève le col de mon court blouson, ajuste les écouteurs de mon MP3 et me lève d'un bond. Me voici à un mètre de l'éphèbe aux boucles sauvages qui s'apprête à descendre lui aussi. Nos regards se croisent, j'hésite un instant, ôte les caoutchoucs de mes oreilles et laisse libre court à ma spontanéité : « La casquette vous va à merveille, vous êtes très beau » lui dis-je en sautant sur le quai. Surpris mais pas désarçonné, il me remercie et me décoche un sourire qui me réchauffe pendant de longues minutes alors que je m'éloigne dans les couloirs glacés.